Le panthéon des héros en lycra a rapidement pris l'habitude d'organiser des rencontres au sommet au gré de comics exceptionnels, proposant parfois même des échanges entre éditeurs concurrents : on se souvient par exemple du crossover entre Superman et Spiderman. Un face-à-face qui amena immédiatement DC à imaginer le plus grand des chocs super-héroïques : Superman Vs. Muhammad Ali. Toute une époque.
Plus de trente ans après sa première publication, l'étonnant crossover Superman Vs. Muhammad Ali est de nouveau disponible en France. Et pour le coup, le jeune éditeur Atlantic BD n'a pas hésité à en confectionner deux éditions distinctes : une sobre reprenant le format classique des comics sous couverture dure, et une autre, plus évènementielle et déjà disponible depuis quelques mois. Si pour des raisons pécuniaires, on imagine bien que la première devrait avoir plus de succès (15 euros environ), c'est pourtant bien la seconde (vendue plus du double), présentée dans un format bien plus imposant, qui marque le coup. Fuseau noir assez classe, Quelques goodies sympathiques (poster, faux ticket pour assister au match), cahier de croquis dans les dernières pages... Le programme est riche, mais c'est pourtant bel et bien la taille (23x35 cm) qui fait ici la différence. Des pages qui englobent les champs de vision et permettent immédiatement aux superbes planches de Neal Adams de frapper la rétine : entre les peuples aliens aussi rétro qu'humoristiquement conceptualités et la puissance dégagée par les deux héros de l'histoire (Ali et Supes), tout fonctionne aux contrastes.
Recolorisées avec une certaine classe depuis 2010, ces illustrations gagnent encore en clarté, particulièrement bluffante de par ce mélange maîtrisé de fantaisie et d'ultra-réalisme, frôlant même parfois le photoréalisme. L'artiste est considéré comme un géant, et à ce titre le présent maxi-comics (70 pages d'un bloc, ce qui était plus que rarissime à l'époque) serait sans doute son chef-d'œuvre graphique. Illustrations dynamiques, découpage ample et spectaculaire, Superman Vs. Muhammad Ali prend les atours d'un blockbuster décomplexé et délirant où curieusement les ambitions revendicatrices et sociales du boxeur rejoignent avec naturel celles du duo Neil Adams / Dennis O'Neil, lesquels sortaient à peine de leur run historique sur Green Lantern / Green Arrow. Les pages d'ouverture se déroulant dans le Bronx sont ainsi d'une telle précision, d'une telle justesse, qu'elles marquent presque tout autant que les délires cosmiques qui vont suivre et la puissance de l'affrontement entre les deux icones sur le ring. Et si l'album séduit encore aujourd'hui, c'est aussi par cet esprit « silver age » qui se dégage constamment de la lecture et séduit par les illustrations, amusant constamment par la naïveté de l'histoire, sorte de nanar kitsch auréolé de dialogues dignes d'une série B virile. Manichéen certes, enfantin c'est sûr, pourtant Superman Vs. Muhammad Ali est clairement une date dans l'histoire des comics, qui bien des années avant la rencontre Spider-man / Barak Obama, montrait un symbole de la culture et des revendications afro-américaines (musulmanes de surcroît), connu pour son combat contre la guerre du Vietnam, côte-à-côte avec le plus grand de tous les super-héros. Pas étonnant qu'en 1978, une telle couverture ait fait grand bruit.


