Que se passerait-il si un authentique crossover de comics, joyeux foutoir où vilains et héros mondiaux se mettent sur la trogne, se déroulait dans le monde réel ? A priori un sacré chaos suivi d'un repli sur soit et d'un rejet total d'une industrie et d'un art. Sous le déluge de guests et de références le blockbuster délirant de Donny Cates ne manque pas de pertinence.
Grands évènements éditoriaux venant autant relancer des lignes chronologiques complètes et rebooster les ventes de chaque maison, les crossover font depuis longtemps partie de l'ADN des comics. Mais Dony Cates (Venom, Thor...) n'entend pas ici livrer un petit crossover qui se déroule dans son petit coin, mais bien une rencontre colossale qui inclurait TOUT les comics. Certes les personnages Marvel et DC (peu joueurs) sont relegués à des silhouettes, des références lointaines, mais elles s'intègrent parfaitement à un tableau gorgé de figures connues de chez Images, mais pas que. Madman, Power, Darkness, Witchblade, Savage Dragon, mais aussi Kickass ou Walking Dead (en noir et blanc SVP) sont de la partie, tout comme les créations personnelles du scénariste que sont God Country (et son épée géante éternelle) et toute la bande des Paybacks... Une équipe de super-héros un poil has-been, déjà bien inspirée des X-Forces, et qui se retrouvaient obligés par un étrange créancier à poursuivre les autres super-héros qui n'avaient pas réussi à rembourser, comme eux, leurs dettes astronomique. Un titre quasiment parodique, bourré de clins d'œil et d'hommage qui malgré son insuccès initial à grappillé depuis son petit statut culte et servirait presque d'introduction, de prologue au plus complexe et sérieux Crossover. En particulier lorsque l'auteur y mêlait justement sa version plus trash de la Justice League avec un discours meta sur les légendes perverties par l'industrie (le passage sur Miracleman est parfait).
Et ce rapport entre la mythologie propre aux comics, son environnement économique, sa perception par le public et l'impact qu'elle peut avoir sur le monde moderne est clairement au centre de Crossover, à la fois pure fantasme de créateur qui hisse ses créations au même rang que des chef d'œuvre absolu du genre (oui, on y parle de The Watchmen et de son poulpe géant) mais aussi déclaration d'amour profonde et gentiment irrévérencieuse à un exercice de style qui ici réussit à dépasser le simple défouloir à cameo. Sans doute parce-que la série laisse justement dans ce premier album le fameux crossover dans un lointain horizon, préférant s'attarder sur ses conséquences sur quelques personnages "lambda", des vendeurs de comics persécutés, le fils d'un prêcheur violemment anti BD et une petite fille échappée de la bulle qui recouvre Denver. Excellente trouvaille d'ailleurs de la part de l'excellent Geoff Shaw (déjà artiste sur les précédents Buzzkill, God Country et The Paybacks) qui donne aux personnages échappés des comics une colorisation tramée so 80's, tout en réussissant à harmoniser l'ensemble des figures et univers invoqués. Sacré prestation qui marie donc parfaitement la grande quête de ces jeunes héros bientôt happés par leurs plus célèbres lectures, avec batailles colossales en doubles pages et autres joyeusetés aux budgets illimités, et une étude beaucoup plus réaliste de la réaction humaine, politique et idéologique à l'arrivée de l'inexplicable, de l'étrange et du différent. Gonflé et prenant.


