Réapparu à la surface grâce au film d'animation d'Ayamu Watanabe sortie en 2019 (en France et partout ailleurs), le manga Les Enfants de la mer se dote enfin d'une nouvelle édition chez Delcourt, celle de Sarbacane étant épuisée depuis longtemps...
C'est que si son manga a durablement marqué ceux qui avait découvert la BD il y a maintenant quinze ans, Daisuke Igarashi reste un auteur relativement rare et dont surtout le succès, toujours d'estime, n'a jamais vraiment atteint le grand public. Ses œuvres d'ailleurs comme Sorcière ou Saru mêle toujours des univers propices au manga populaire mais traité avec une forte grille ésotérique et mystique pouvant se révéler déstabilisante et complexe. Et c'est clairement le cas avec Les Enfants de la mer dont même l'adaptation animée n'a pu contourner (volontairement) les abords les plus étranges et nébuleux. Une forme très particulière de poésie qui pousse constamment le lecteur à s'interroger sur les nombreux mystères évoqués par les personnages et les situations, sur les vision intensément graphiques qui composent des pages d'une grande beauté, mais dont finalement le sens réel n'aura de cesse de nous échapper et ce jusqu'au dernières pages du dernier tome. Peut-être ne faut-il pas se laisser encombrer par quelques considérations cosmologiques absconds et uniquement se concentrer sur l'essentiel : la fascination pour les océans et la vie qui l'habite.
Une fable écologique parfaitement réussie lorsqu'elle se recentre sur le destin de trois enfant, Ruka la jeune fille témoin et attachant, et les deux fameux « enfants de la mer » Umi et Sora, découverts bébé au sein d'une famille de dugongs. Des gamins en gardant une connexion profonde avec le monde du grand silence, et s'inquiétant eux aussi des multiples disparitions de créatures marines dans de curieux flots lumineux. L'essentiel du premier volume repose sur cette rencontre estivale et la mise en place de la trame du récit, avec un rythme façonné par un quotidien encore à peine bousculé et de longues phases contemplatives scrutant de magnifiques bords de mer, interceptant la chute de deux gigantesques étoiles filantes, ou plongeant plus généreusement dans le grand bleu. Cultivant déjà un style graphique fragile, délicat, légèrement tremblotant mais constamment sensible, Daisuke Igarashi expose totalement son art dans les nombreuses et spectaculaires scènes sous-marines. La reproduction minutieuse de la faune et la flore, la sensation constante de mouvement de ses planches, les effets de lumières, de scintillements et l'incarnation physique des enfants au milieu d'eux font naitre des tableaux somptueux, magiques et inoubliables. C'est le regard plongé dans cette opulence graphique, dans ces petites merveilles picturales qu'on se dit qu'effectivement Les Enfants de la mer n'a pas besoin de plus de discours pour célébrer ce paradis du vivant et souligner son rôle essentiel dans l'équilibre écologique. Superbe.

