Œuvre littéraire fondatrice et visionnaire, Le Meilleur des mondes d'Aldous Huxley a certes connu quelques itérations télévisées (la dernière date de 2020), mais n'a jamais été transposée au cinéma ou en bande dessinée. Pour ce media, c'est aujourd'hui chose faite avec un graphic novel écrit et illustré par Fred Fordham.
Seul un artiste anglais pouvait effectivement s'approcher du roman d'Huxley, et qui plus est un artiste coutumier avec les questions du travail d'adaptation. Déjà responsable d'une version remarquée de Ne Tirez pas sur l'oiseau moqueur et très prochainement d'un Gatsby Le Magnifique cette fois-ci dessiné par Aya Morton, il s'attaque cependant à un gros morceau avec Le Meilleur des mondes. Un Everest par son statut déjà, par ses parti pris presque expérimentaux dans l'écriture et la construction des chapitres, mais aussi par l'aspect totalement visionnaire de ses thèmes et de ses visions. Si Le Meilleur des mondes fut largement moqué pour sa fantaisie au début des années 30, il le fut déjà moins à l'orée de la Seconde Guerre mondiale, et encore moins aujourd'hui où la plupart des théories que mettaient en place l'auteur sont devenues des éléments acceptés de notre quotidien. Dans Le Meilleur des mondes il est ainsi question d'une société idéale où chacun, bien conditionné dès la naissance, gavé de drogues calmant les nerfs et les pulsions, connaitrait sa place immuable et n'aurait d'autre but que d'œuvrer pour le grand ensemble, de travailler, de consommer, hypnotisé par une société du loisir ultra sexualisé. Pas de réalisme, nous somme ouvertement dans la fable, dans cette extrapolation aussi exagérée que celle du 1984 d'Orwell (antinomique mais se répondant l'un l'autre), mais un texte d'une justesse effrayante, d'une pertinence plus affutée que jamais aujourd'hui.
C'est certainement pour ce parallèle constant que l'on dresse avec notre civilisation dite moderne, que Fred Fordham a voulu s'y plonger et en offrir un écho plus graphique. Avec une ligne souvent très simple, très européenne, il souligne ainsi l'aspect surcoloré, sur idéalisé et faussement lumineux de cette utopie viciée entrecoupant le destin révélateur des protagonistes de grandes cases ou de pleines pages faites d'immeubles d'un blanc immaculé, maculés de publicités d'endoctrinement (pléonasme) et d'hologrammes venant vanter les mérites de la sexualité libre (où bien entendu on s'échange plus facilement les femmes que l'inverse). Un design humain très terre-à-terre quitte à un se révéler un peu fade parfois, qui donne justement des illustrations souvent trop douces, top délicates, même lorsque la trame explore la réalité beaucoup plus difficile voir tragique des « sauvages » regroupés dans des réserves pour safari. Lorsque le ton se fait plus dur, plus violent, plus tourmenté et que les masques tombent, Fordham reste trop sur la réserve, trop élégant, propre, pour véritablement donner corps à l'horreur psychologique et physique qui se joue là. Une adaptation trop soigneuse et trop sage soit, mais qui a au moins a le mérite de ne jamais trahir le modèle et sans doute de le rendre plus accessible à de nouveaux lecteurs que l'allégement apporté par les illustrations feront moins fuir. Pour une première découverte.

