Les Dents de la mer (où l'art de terrifier l'auditeur grâce à deux malheureuses notes), Rencontres du troisième type (un sommet rarement égalé d'orchestration), Le Temple Maudit (l'Aventure symphonique ultime), La Liste de Schindler (besoin de commenter ?)... John Williams n'est jamais aussi bon que lorsqu'il travaille avec Steven Spielberg. Et ce n'est pas Minority Report qui allait, en 2002, faire mentir l'adage, rattrapant au-delà de toute espérance la légère déception A.I..
En un déluge de leitmotivs essentiellement rythmiques et de sonorités diffuses (les notes sont soit liées comme jamais, soit à ce point piquées qu'elles se superposent comme autant de couches texturales), Williams contribue à l'enfantement d'un monde immatériel, fondé sur l'illusion, tout en renforçant les confrontations des personnages au réel. On notera à ce titre le contraste entre la complexité d'écriture du motif des Precogs (une suite de gammes et d'arpèges en doubles voire triples croches), et la manière dont ce dernier échappe à toute mélodie identifiable.
Au terme d'une heure de visions transparentes, combinaison de miroirs et d'hologrammes, Spielberg déplaçait l'action de son film dans des décors sales, aux murs opaques, palpables. Annoncées par le thème mélancolique à souhait de Lara (aucun lien avec Maurice Jarre), les cordes et les instrumentations concrètes de Williams se chargeront parallèlement d'envelopper l'auditeur, de le diriger vers des codes plus identifiables avant qu'une ballade (le thème de Sean) ne sollicite tous les violons de l'orchestre. Fruit d'un projet de mise en scène commun, et surtout d'une véritable implication à la fois sensorielle et émotionnelle, la bande originale de Minority Report sait lier l'académique et l'avant-gardiste sans jamais se perdre. Expérimentant autant avec ses notes que Spielberg avec sa caméra, le maestro démontre que l'on peut composer à la fois avec sa tête et son coeur.