Disparu en juillet 2004, Jerry Goldsmith a laissé derrière lui quelques dizaines de chefs-d'oeuvre. L'un d'entre eux, composé pour le formidable Looney Tunes de Joe Dante, restera hélas à jamais inachevé.
Joe Dante et Jerry Goldsmith, du vivant de ce dernier, étaient quand même deux sacrés phénomènes. Tandis que le premier, du haut de ses 57 ans, blaguait dix fois par plan et se livrait, en cette année 2003, à des exercices techniques aussi périlleux qu'enjoués comme s'il avait encore vingt ans (Back in Action reste encore aujourd'hui un torrent de plans-séquences insensés), le second, déjà atteint d'une maladie incurable, sautillait sur ses instruments, virevoltait sur sa baguette et semblait bien décidé, lui aussi, à dissimuler son âge (74 ans, on ne le rappellera jamais assez). Heureuse malgré son contexte créatif, enlevée, parfois tonitruante mais toujours maîtrisée, la bande originale de Looney Tunes confirmait la longueur d'avance conservée par Goldsmith sur ses confrères depuis plus d'un demi-siècle, à de rares exceptions près.
Variations autour du thème de Daffy ("What's Up ?", "Dead Duck Walking"), marches westerniennes pour les méchants (le prodigieux dytpique "The Bad Guys" / "Car Trouble", qui découle directement du score de Hour of the Gun), hommages au mickeymousing d'antan, délires bondiens irrésistibles ("In Style", "Hot Pursuit"), réorchestration inattendue du célèbre générique des dessins-animés ("Free Fall"), auto-citations savoureuses en pagaille (le thème intégral de Gremlins à la fin de "Out of the Bag")... Goldsmith aura composé cette bande originale avec l'énergie d'un jeune homme, rendant par la même obsolète le travail de John Frizzell et John Debney, ses remplaçants à l'écran pour une poignée de séquences. C'est là la dure réalité : conscient de ne pas pouvoir gérer, dans son état, l'ensemble du projet, le compositeur de La Planète des singes et Basic Instinct avait imposé qu'une jeune équipe prenne le relai pour la demi-heure finale. La courte durée du présent disque englobe ainsi, paradoxalement, l'intégralité des partitions de Goldsmith pour le film. Interrogé sur le sujet, son ami Joe Dante nous révélait il y a peu, la gorge nouée, l'attention portée par toute l'équipe au travail du maestro, culminant en une dernière session d'enregistrement douce-amère où chacun était venu assister, dans un silence quasi-religieux, à ce qui s'avèrera être la dernière série de notes enregistrée par Jerry Goldsmith pour le grand écran. "J'aurais aimé que ce soit pour un meilleur film", concluait Dante. Qu'il n'ait pas de regret : avec sa fraîcheur, sa fougue et son irrévérence, ce Looney Tunes s'apparente au contraire aux plus joyeuses des funérailles.