Après El Orfanato et Lo Imposible, Juan Antonio Bayona revient pour nous prouver définitivement (si cela était encore utile) qu'il est définitivement l'un des cinéastes les plus importants du moment, en adaptant le livre de Patrick Ness (également scénariste du film) A Monster Calls. Une fable initiatique rude, poignante, magnifiée par la juste musique de Fernando Velazquez, compositeur attitré du cinéaste espagnol.
Sorti en début d'année dans une indifférence quasi totale, malgré des critiques majoritairement dithyrambiques (vous pouvez à ce propos retrouver la critique du film ainsi qu'un entretien avec le réalisateur sur le site), la faute à une promo inexistante voire à la ramasse, le film n'ayant bénéficié au final que d'une exposition limitée, autant en terme de copies que dans le temps. Celui-ci rejoignant tristement le club de plus en plus fourni des œuvres incomprises aux moments de leurs sorties. C'est sur que dès qu'un film a le culot de proposer une expérience rude, invoquant l'une de nos craintes les plus éternelles, personnifiée qui plus est par le chemin de croix psychologique d'un enfant, titillant nos sentiments, nos émotions et donc notre cœur, les grosses huiles d'Hollywood paniquent et se sentent désemparés. C'est forcément plus compliqué à vendre qu'un film estampillé Marvel/DC, ou une suite, ou un remake, ou un reboot ...
Un film faisant réfléchir, que l'on ressent, et qui ébranle le spectateur sans prévenir, celui-ci se rendant compte trop tard qu'un mouchoir lui aurait été utile pour épancher ses larmes (celles-ci auront déjà coulées sur ses joues) est désormais presque un crime de lèse majesté. Les émotions, on les ressent pendant le film grâce aux images, mais aussi avec le travail une fois de plus remarquable de Velazquez. Poème musical en lévitation permanente, intime, à fleur de peau, et pourtant grave, douloureux, profond. En symbiose parfaite avec son support visuel, elle se révèle enveloppante voire consolante, sans artifice inutile, Velazquez évitant le pathos déplacé (comprendre «too much») afin d'imprégner le métrage d'un intimisme poétique décuplant de fait la force émotionnelle du récit.
Le score grave de Velazquez symbolise tour à tour les différentes phases psychologiques de Connor vis-à-vis de la maladie de sa mère (sa colère, son déni, l'acceptation, la reconstruction ...), son désespoir face à un mal contre lequel il est impuissant, mais aussi son imaginaire. Face à ce quotidien devenu trop dur pour un enfant, celui-ci représente dès lors son seul échappatoire, son seul exutoire, autant de par ses rêves, que par sa créativité, les rares passages d'exaltation de la musique y étant accolés. Finissant fatalement par avoir une incidence l'un sur l'autre, il est intéressant de constater que ces deux aspects se répercutent également sur l'orchestration; les cuivres et les choeurs masculins n'interviennent que lors des apparitions grondantes et mystérieuses du monstre ou des histoires (magnifiquement mises en scène) racontées par celui-ci, quand «la réalité» s'exprime par un petit ensemble de cordes sensibles et un piano, une harpe, une flûte (tous en solo) plongés dans un écho appuyant le sentiment de solitude du jeune garçon (Conor Wakes Up/ Main Title). La musique prenant également une tonalité presque élégiaque et déchirante grâce à l'utilisation ponctuelle toute en retenue des choeurs (I Wish I Had A Hundred Years, Big Dreams, The Truth). D'exaltation et d'espoir, il en est également question dans les parties du film incluant le père de Connor, la partition devenant dès lors plus enjouée, Conor voyant en son père notamment un moyen d'échapper (fuir?) à son quotidien qu'il rejette de plus en plus (le magnifique Home Alone/Dad Arrives, une des rares bouffées d'air de la BO). Autant d'éléments presque anodins et pourtant judicieux que l'on ressent plus que l'on ne les décèle, pour une musique toujours au service de son récit composée avec brio par Velazquez, ne cherchant jamais à empiéter sur les plates bandes du récit qu'elle appuie. Un score que l'on prend en plein cœur (au même titre que le film, préparez les mouchoirs, vous êtes prévenus) et qui nous hante, même bien après la vision/l'écoute. Et franchement, aussi émouvante et éprouvante soit l'expérience, ça fait également énormément de bien. Mais qu'est-ce que c'est dur...





