L'aboutissement
Autant l'avouer tout de suite, la bande originale du Retour du Roi était attendue au tournant, clôturer une trilogie musicale aussi riche sans que l'inspiration ne soit tarie relevant du miracle pur et simple. On ne pouvait s'empêcher de repenser, par exemple, au Retour du Jedi, si inférieur à L'Empire contre-attaque en dépit d'une avalanche de nouveaux leitmotivs. Quoiqu'il en soit, on ignore quel esprit Howard Shore a invoqué durant les six années qu'il a consacrées à Lord of the Rings, mais le miracle ne fait aujourd'hui aucun doute : plus qu'une séquelle digne de ses grandes soeurs, la partition du Retour du Roi sonne comme un accomplissement, une conclusion symphonique défiant les attentes les plus optimistes.
En exposant tout le vocabulaire, la culture et la texture musicale de la Terre du Milieu, La Communauté de l'Anneau enfantait une thématique exceptionnelle, qui trouverait son essence et son but sur l'ensemble de la trilogie. Les Deux Tours remenait par la suite les enjeux à échelle humaine, tout en décuplant le mystère et l'ampleur du périple. Partagé entre la schizophrénie percussive de Gollum, la mélancolie éthérée d'Arwen et la noblesse typée du Rohan (sans doute le plus beau thème guerrier entendu depuis Conan le Barbare !), le second opus allait sacrément compliquer les choses, voguant sans cesse, et avec une cohérence d'un autre monde, de la romance à l'épopée furieuse, de la fantaisie à l'héroïque, de l'émerveillement au tragique. Fondamentalement différente de la partition des Deux Tours, de la même manière que celle-ci s'était intelligemment éloignée du premier épisode, la composition de Howard Shore pour Le Retour du Roi libère ce qui jadis paraissait retenu, dans une accumulation d'accords parfaits et de symphonies fantastiques appelées à marquer l'histoire. Audible, dans des versions primitives, dans Les Deux Tours Version Longue (le discours de Boromir à Osgiliath) et la bande-annonce du Retour du Roi, le thème du Gondor s'exprime ici dans toute sa grandeur ("Minas Tirith"), une armée de cuivres déferlant comme autant de soldats sur un champ de bataille. Rejoignant les ambitions de Peter Jackson, ce gigantisme de l'orchestration éclate logiquement lors des morceaux de bravoure ; entre la charge des Rohirrim (redéfinition massive du thème du Rohan, dans une optique purement wagnérienne) et les champs de Pelennor (l'Enfer déversé dans les enceintes en tonalité majeure, avec choeurs, trompettes et percussions en pagaille), les amateurs de musique épique trouveront ici leur Saint Graal ; ni plus ni moins qu'une oeuvre définitive.
Réduire le travail de Howard Shore à ses envolées guerrières serait toutefois mésestimer sa valeur. Des glissandos de cordes stridants de l'Antre d'Arachne, évoquant le Bernard Herrmann de Psychose tout en soulignant avec pertinence l'implacable mobilité de la bête, à la paix retrouvée des Havres Gris (avec "Twilight and Shadow", le "Evenstar" de cet album) ; de cette version soliste, dépouillée et terriblement intime du thème de l'Anneau ("A Storm is Coming") aux chorales crépusculaires de la Montagne du Destin ("The End of All Things") ; des chants mélancoliques puis emplis d'espoir de Billy Boyd, Viggo Mortensen et Annie Lennox aux superbes emprunts thématiques à La Communauté de L'Anneau (Fondcombe pour Anduril, le Pic de Caradhras pour Minas Morgul, la première apparition d'Arwen pour la scène du mariage et enfin, une réorchestration subtilement mûrie du thème de la Comté durant l'épilogue), impossible de ne pas repenser à ce que Shore déclarait au tout début de cette aventure : en acceptant l'offre de Peter Jackson d'illustrer l'adaptation du livre de Tolkien, le compositeur avait saisi une occasion rarissime, sans doute la dernière de toute son existence, de créer un opéra, une oeuvre dont l'ampleur dépasserait les frontières généralement imposées par son médium original. Howard Shore peut dormir tranquille : une fois la version longue du Retour du Roi achevée, ses dix heures de musique composées pour Le Seigneur des Anneaux deviendront légende.
En exposant tout le vocabulaire, la culture et la texture musicale de la Terre du Milieu, La Communauté de l'Anneau enfantait une thématique exceptionnelle, qui trouverait son essence et son but sur l'ensemble de la trilogie. Les Deux Tours remenait par la suite les enjeux à échelle humaine, tout en décuplant le mystère et l'ampleur du périple. Partagé entre la schizophrénie percussive de Gollum, la mélancolie éthérée d'Arwen et la noblesse typée du Rohan (sans doute le plus beau thème guerrier entendu depuis Conan le Barbare !), le second opus allait sacrément compliquer les choses, voguant sans cesse, et avec une cohérence d'un autre monde, de la romance à l'épopée furieuse, de la fantaisie à l'héroïque, de l'émerveillement au tragique. Fondamentalement différente de la partition des Deux Tours, de la même manière que celle-ci s'était intelligemment éloignée du premier épisode, la composition de Howard Shore pour Le Retour du Roi libère ce qui jadis paraissait retenu, dans une accumulation d'accords parfaits et de symphonies fantastiques appelées à marquer l'histoire. Audible, dans des versions primitives, dans Les Deux Tours Version Longue (le discours de Boromir à Osgiliath) et la bande-annonce du Retour du Roi, le thème du Gondor s'exprime ici dans toute sa grandeur ("Minas Tirith"), une armée de cuivres déferlant comme autant de soldats sur un champ de bataille. Rejoignant les ambitions de Peter Jackson, ce gigantisme de l'orchestration éclate logiquement lors des morceaux de bravoure ; entre la charge des Rohirrim (redéfinition massive du thème du Rohan, dans une optique purement wagnérienne) et les champs de Pelennor (l'Enfer déversé dans les enceintes en tonalité majeure, avec choeurs, trompettes et percussions en pagaille), les amateurs de musique épique trouveront ici leur Saint Graal ; ni plus ni moins qu'une oeuvre définitive.
Registres contraires mais complémentaires
Réduire le travail de Howard Shore à ses envolées guerrières serait toutefois mésestimer sa valeur. Des glissandos de cordes stridants de l'Antre d'Arachne, évoquant le Bernard Herrmann de Psychose tout en soulignant avec pertinence l'implacable mobilité de la bête, à la paix retrouvée des Havres Gris (avec "Twilight and Shadow", le "Evenstar" de cet album) ; de cette version soliste, dépouillée et terriblement intime du thème de l'Anneau ("A Storm is Coming") aux chorales crépusculaires de la Montagne du Destin ("The End of All Things") ; des chants mélancoliques puis emplis d'espoir de Billy Boyd, Viggo Mortensen et Annie Lennox aux superbes emprunts thématiques à La Communauté de L'Anneau (Fondcombe pour Anduril, le Pic de Caradhras pour Minas Morgul, la première apparition d'Arwen pour la scène du mariage et enfin, une réorchestration subtilement mûrie du thème de la Comté durant l'épilogue), impossible de ne pas repenser à ce que Shore déclarait au tout début de cette aventure : en acceptant l'offre de Peter Jackson d'illustrer l'adaptation du livre de Tolkien, le compositeur avait saisi une occasion rarissime, sans doute la dernière de toute son existence, de créer un opéra, une oeuvre dont l'ampleur dépasserait les frontières généralement imposées par son médium original. Howard Shore peut dormir tranquille : une fois la version longue du Retour du Roi achevée, ses dix heures de musique composées pour Le Seigneur des Anneaux deviendront légende.
Alexandre Poncet
