Dessiné par Alex Ross en personne, l'incroyable générique de Spider-Man 2 apparaît comme une note d'intention : en reprenant les moments forts les plus intimes du premier épisode et en omettant littéralement ses morceaux de bravoure, Sam Raimi recadre l'intérêt d'un public empoisonné par une promotion mensongère (bandes-annonces et affiches focalisées sur le costume de l'homme araignée) sur le personnage de Peter Parker, seule clef de voûte de ce nouvel opus. Car il est ici une évidence qui va sévèrement diviser l'opinion quant à cette seconde aventure : Spider-Man 2 est bien davantage une comédie dramatique et sentimentale qu'un film d'action dévastateur. Et certains de se poser d'emblée la question : Sam Raimi aurait-il vendu son âme au Diable ?!
Il y a, bien évidemment, une quantité fort honorable de scènes d'anthologie dans Spider-Man 2 et l'utilisation que le réalisateur de Evil Dead fait du Docteur Octopus (Alfred Molina, magnétique) défie la raison cinéphile. Le réveil du monstre en pleine salle de chirurgie compte en premier lieu parmi les instants les plus frénétiques, violents et vituoses de la filmographie déjà largement allumée de Raimi. L'affrontement épique entre Spidey et le professeur tentaculaire sur une rame de métro lancée à vive allure s'inscrit quant à lui au panthéon des combats les plus mémorables jamais imprimés sur pellicule, chaque cadrage, mouvement d'appareil ou coup porté traduisant une fluidité, une rigueur et une inventivité absolues. Ayant le contrôle total des quatre coins de son cinémascope (vous avez bien lu : CINEMASCOPE), comme au bon vieux temps de Evil Dead 2, Darkman et Mort ou Vif, Raimi profite enfin des avancées technologiques des deux années passées pour magnifier le moindre envol du tisseur. Eparpillées avec parcimonie au fil du métrage, les acrobaties de Spidey emportent le spectateur dans un tourbillon aérien sans précédent, atteignant son point culminant lors d'un avant-dernier plan inimaginable.
La dernière image quant à elle, tout comme les plans d'ouverture d'ailleurs, ramène le métrage à son essence véritable. La solitude de Peter Parker et son incapacité à s'épanouir dans sa double existence nourrissent le plus grand du film, et celui-ci ne s'éloigne de cette thématique (et encore, modérément) que lorsqu'il n'y a plus d'autre alternative. Viscéralement intégrées à l'histoire, car motivées par des drames personnels ou des choix fondamentaux des divers protagonistes (Peter et Octopus en tête), les séquences d'action sonnent dès lors comme des derniers recours et ne dévient à aucun moment de leurs enjeux originels. Une sorte d'anti Matrix Reloaded en somme, l'aspect ludique de l'entreprise se voyant systématiquement justifié par les rebondissements de l'histoire.
Faute du blockbuster attendu, Spider-Man 2 serait-il un long film bavard ? En aucun cas. On admettra certes un léger défaut : une structure narrative peinant à succéder à l'écriture fluide de David Koepp, un peu comme si Mike Millar et Alfred Gough (auteurs du consternant Smallville) avaient envisagé ce second film comme une saison transitoire de série TV (les fondus au noir et enchaînés constituent ici les changements d'épisodes). Toutefois, ce constat n'affecte en rien ni la profondeur et l'importance des événements relatés, ni la thématique bouillonnante qui nourrit la moindre séquence. En réalisant le premier Spider-Man, Sam Raimi avait donné vie à l'un des premiers blockbusters totalement libres de ton, virevoltant d'une sous-intrigue à une autre et d'un enjeu à son contraire en l'espace de deux malheureuses coupes. Une scène réunissant Pete, Harry et son père dans l'appartement des deux jeunes hommes, située en milieu du projection, résumait merveilleusement bien le projet du réalisateur, celui-ci apportant un nouvel éclairage à chaque nouvelle seconde. Koepp ayant passé la main, on ne s'attendait pas à revivre une telle épopée scénaristique ; c'était sans conteste sous-estimer l'ambition de Raimi. D'une course contre la montre renversante au coeur de New York (15 enjeux établis en trois minutes) à une fête d'anniversaire douce-amère (30 enjeux (ré)établis en soixante secondes), d'une douce conversation entre Pete et le couple Octavius autour d'un thé (hommage vibrant à la Nouvelle Vague imposant d'emblée Otto comme un être crédible, charmant et cultivé) à une soirée people multipliant les conflits, Sam "The Man" semble incapable de poser le pied sur le frein. Vouloir rebondir sur chaque idée, chaque plan aurait très bien pu couler son film, mais la pertinence et l'enthousiasme de sa mise en scène entérinent systématiquement ses choix les plus inattendus, d'une blague faussement gratuite lancée par un Otto Octavius sur le point de devenir Doc Ock à une inénarrable parodie de film familial, bercée par le Raindrops keep falling on my Head de B.J. Thomas.
Truffé de plans séquences nouant personnages, enjeux et intrigues jusqu'à former un tout cohérent (l'évacuation de la salle d'expérience, sondant pas à pas les états d'âmes des rescapés ; le travelling lattéral abrupt partant de Tante May et Peter, assis devant leur banquier, pour se figer sur Octopus, éventrant de ses tentacules un coffre blindé ; le vol du Tisseur, face caméra et accompagné de son thème musical, se reflétant finalement dans les lunettes de Doc Ock, Elfman effectuant une transition vers le leitmtoiv de ce dernier ; ou encore la succession de gros plans sur les regards de Octopus, Peter et Mary-Jane lors du final), Spider-Man 2 est un film d'une incroyable complexité, vêtu paradoxalement des émotions les plus simples. Parfois hilarant (Spidey dans l'ascenceur, l'apparition attendue de Bruce Campbell, les dialogues ciselés à la serpe de J. Jonah Jameson), souvent touchant et versant dans un sadisme inouï vis-à-vis de son personnage principal (Raimi ne s'était pas autant défoulé depuis Evil Dead 2 !), le film caresse l'excellence que l'on était en droit d'espérer après le feu d'artifices artistique du premier numéro. A chacun maintenant de composer avec ses affinités et espérances propres, un face-à-face Spidey / Doc Ock de plus de deux heures n'étant vraiment, mais alors vraiment pas à l'ordre du jour...