Maitre es horreur et cinéaste visuel de génie, John Carpenter n'aura fait tout au long de sa longue carrière (qui n'est pas terminée, fort heureusement) qu'une seule incartade au cinéma de genre. Un biopic, pour la télévision qui plus est, contant les années de gloire du King of Rock : Elvis Presley. Chose amusante, il s'agit aussi de l'un de ses plus grands succès.
Tourné dans la foulée de Meurtre au 43ème étage (autre production TV), juste avant que la folie Halloween ne lui permette de lancer définitivement sa carrière, Elvis est confié à Carpenter par des producteurs qui voyaient en lui l'homme providentiel... car il composait personnellement ses bande-originale. Le fait que justement, cette charge soit confiée à un autre (John Renzetti au travail, extrêmement discret) prouve que tout le projet repose sur un malentendu. Descendant direct des artisans d'antan, Carpenter est reconnu pour s'approprier les sujets qu'il aborde (quand il n'est pas tout simplement scénariste) et donner de nouvelles couleurs à des trames archi-connues. Impossible cependant de savoir ce qu'aurait donné cette biographie réalisée deux ans seulement après la mort de la star, si le cinéaste avait eu le Final Cut. Il faut ainsi faire avec les multiples errances du film, s'apparentant souvent à une succession d'images d'Epinal, de photographies attendues, ou les chansons phares (réinterprété par un excellent imitateur) venant certes parfois éclairer la psychologie d'Elvis, mais surtout alourdir un rythme déjà relativement contemplatif. On reconnaît bien la maîtrise du cadre de l'amateur de western (un superbe 1.85 à défaut du Cinémascope habituel), lequel semble plus intéressé par la recherche d'une iconographie américaine, plutôt que de ternir ou assombrir les réflexions du chanteur comme il est souvent de coutume dans l'exercice du biopic.
Sans doute est-ce la même raison qui a poussé Anthony Lawrence (justement scénariste de la plupart des comédies musicales d'Elvis) à ne pas évoquer les pathétiques dernières années du bonhomme. Le film reste donc extrêmement positif en apparences, mais d'une certaine façon fonctionne en creux, laissant des zones vides comme pour mieux attirer le regard du spectateur. La relation fusionnelle avec sa mère (excellente Shelley Winters), son incapacité à vivre en couple et surtout l'évocation d'un frère mort-né vécu comme une cicatrice, lequel deviendra finalement le seul véritable interlocuteur d'Elvis, tout cela reste en suspens, en filigrane comme pour ne pas gâcher la lumière et les paillettes. Carpenter en tire tout de même les meilleures séquences du long-métrage, jouant avec talent sur l'espace vide ou l'ombre / double, et laissant à nouveau un tout jeune Kurt Russell exploser à l'écran, incarnant avec une justesse et un charisme incroyables le rocker jusque dans ses déhanchés illustres. Ce long téléfilm (presque trois heures) ne semble pas toujours capable de saisir toute l'essence de son sujet, ne prend jamais de risques inconsidérés (dommage) mais porte tout de même la marque de papy Carpenter. C'est aussi le film qui aura permis au duo Carpenter / Russell d'entamer sa longue et fructueuse collaboration. Sans Elvis, pas de New York 1997, de The Thing ou de Jack Burton...



