Die Hard 4.0, alias Live Free or Die Hard, alias Retour en Enfer aura au moins permis aux jeunes spectateurs de faire la connaissance de John McClane, le flic le plus hard boiled de l'histoire du cinéma populaire. Un personnage immortalisé par les prises de vue iconiques de John McTiernan, dont la transition stylistique entre Piege de Cristal et Une journée en Enfer vaut aujourd'hui d'être étudiée en écoles de cinéma.
La série Die Hard peut se résumer à deux films. Une journée en enfer aura d'ailleurs eu l'heureuse idée de ne jamais référer à l'opus de Renny Harlin pour mieux s'inscrire dans l'héritage du premier épisode, film d'action révolutionnaire lors de sa sortie, en 1988. Tournés par John McTiernan à deux périodes très précises de son évolution artistique, Die Hard et Die Hard - With a Vengeance font plus que jamais aujourd'hui office de postulat créatif, posent un regard interrogateur sur un genre codifié à l'excès et inévitablement méprisé, pour oser caresser dans le sens du poil les fantasmes d'une audience populaire. McTiernan, sans pour autant tourner le dos à son public, aspire toutefois perpétuellement à disséquer les fondations du cinéma d'action. Visuellement antinomiques, les deux métrages proposent chacun une sensibilité et une approche bien précises du grand spectacle. Piège de cristal multiplie ainsi les constructions géométriques, les intersections de lignes, joue avec la hauteur, la largeur, les diagonales et la profondeur comme pour mieux symboliser une pyramide d'enjeux appelés à s'entrechoquer. Les relations entre les personnages vont dans ce sens : triangle amoureux (le personnage d'Ellis comme menace immédiate du couple), face-à-face en parallèles (McClane / Gruber, Gruber / Holly), confrontations annexes (McClane / Karl, Al / Dwayne Robinson, Holly Thornburg)...
Cette profusion de lignes dans la caractérisation, on la retrouve intacte dans Une journée en enfer. McTiernan l'enveloppe toutefois différemment, sa superbe galerie de portraits aidant considérablement l'immersion du spectacteur. Chaque figurant joue ici un rôle à part entière dans l'aventure, sans vraiment se rendre compte de l'ampleur des évènements. Une journée en Enfer affiche dès ses premiers plans une crédibilité inédite. Une sensation de virtualité. Ce souffle de vie s'impose dès les premières secondes de projection, tandis que McTiernan, comme planté au milieu des rues fourmillantes, cadre à l'arrachée des gens en train de vaquer à leurs occupations. En guise de fond sonore, un rock urbain stoppera net, sans effet de montage, au contact d'une assourdissante explosion. Naturaliste, McT ne fait pas machine arrière une fois son préambule achevé. Devant son objectif, alternant les cadres larges et ultra-serrés, voire les plans séquences (voir cette formidable ouverture dans le commissariat), s'étale un écosystème concret, palpable, fait de vendeurs de hot-dogs, de pompiers bedonnants, de policières vieillissantes, de traders, de femmes enceintes, d'ouvriers. La lecture du film s'effecture dès lors à deux vitesses : si la vue d'ensemble nécessaire au bon déroulement du divertissement hollywoodien attendu fait montre d'une mise en place au millimètre, avec un rebondissement impeccablement mené en second acte, la vision scène par scène met en exergue la soudaineté des faits. Shooté à l'épaule, truffé de décadrages brutaux et de tremblements d'objectif (McT donnait des coups d'épaule dans la caméra lorsqu'il considérait que son opérateur steadycam commençait à filmer trop "propre"), le film s'attarde autant sur ce que capte l'objectif de la caméra que sur ce qui se déroule hors champ, plaçant le spectateur dans un rôle de reporter de guerre incapable de prévoir d'où surgira la déflagration suivante. Baignant dans une urgence perpétuelle, Une journée en enfer renvoie directement aux expérimentations les plus organiques de William Friedkin (Le Convoi de la peur en tête), seul autre cinéaste à avoir refusé de prendre son public par la main, et de le guider confortablement au fil d'une aventure à la troisième personne. Trois ans plus tard, McTiernan mènera ces recherches très Nouvelle Vague à maturité via Le Treizième Guerrier, chef-d'oeuvre maudit dont on attend toujours un director's cut.