35 ans après sa sortie évènement (les américains étaient encore groggy), Les Hommes du président aurait pu devenir un documentaire historique, l'instantané d'un pays traumatisé par un réveil trop brutal. Pourtant, grâce à un deux acteurs exceptionnels, une construction brillante et un mise en scène passionnante, ce dernier survit aux évènements relatés et reste comme un très, très grand film.
Réalisateur du terrifiant A Cause d'un assassinat, œuvre paranoïaque en diable, reflet terrifiant de la fin de l'Amérique idéalisée, Alan J. Pakula passe de la fiction pure, de l'évocation d'un complot fantasque et presque issu des X-Files à un long-métrage miroir, s'attaquant directement au scandale du Watergate. Seulement deux ans après la démission de Nixon, le cinéaste et surtout son producteur star Robert Redford n'hésitent pas à faire revivre sur grand écran l'enquête kafkaïenne des journalistes du Washington Post, Woodward et Bernstein. Inspiré de leur livre enquête, retraçant l'intégralité de leurs recherches, entretiens, mais aussi fausses pistes, hésitations, erreurs et rares moments de gloire, Les Hommes du président n'est pas un thriller comme les autres. Entièrement centré sur le point de vue des journalistes, il embrasse finalement pas à pas chacune de leurs trouvailles et surtout leur volonté forcenée de découvrir la réalité derrière ce qui débute comme un simple cambriolage. D'une justesse et d'une économie à toute épreuve, Redford et Dustin Hoffman font alors figure de vecteurs, de corps et de cerveaux en constant mouvement dont la caméra (superbes travellings dans la rédaction) et le spectateur tentent de suivre et de comprendre les cheminements.
Pleuvant sous les noms, les faits ou les anecdotes, le scénario-dossier ressemble à un puzzle dont il manquerait la moitié des pièces et dont le tableau d'ensemble est trop effrayant pour être ne serait-ce qu'envisagé. Si le meurtre de J.F. Kennedy a déjà entamé le travail, c'est bien la trahison et les manipulations honteuses de Nixon qui, une fois révélées, vont achever de détruire l'image de l'Amérique moralement irréprochable ; une image d'Epinal pourtant déjà datée. Seuls contre tous, Woodward et Bernstein sont donc régulièrement montrés comme de simples silhouettes écrasées par l'état (passage de Redford devant la maison blanche), ou plus littéralement comme de pauvres pions sur un échiquier délirant (travelling arrière dans la bibliothèque du congrès), souvent en opposition totale avec le déroulement parallèle du reste de la vie politique américaine (multiples montages dans le plan à deux ou trois niveaux). Ce dispositif pictural extrêmement fouillé impressionne en dépit d'une fausse approche documentaire que l'on serait presque tenté de créditer à Redford-réalisateur, mais qui d'une façon ou d'une autre permet de transformer une affaire journaleuse complexe, faite de « on-dit » et de « sous-entendus » d'initiés, en un brûlot tendu et passionnant. Un thriller politique séminal dont on (re)découvre l'extraordinaire modernité et surtout la paternité d'œuvres phares comme JFK (Oliver Stone, 1991) ou Zodiac (David Fincher, 2007).


