Pas bête, FPE profite de la sortie sur grand écran du lamentable Conan 3D pour refourguer (en HD) les deux premières illustrations cinématographiques des romans de Robert E. Howard. Un chef-d'œuvre intemporel d'un côté, un nanar cosmique de l'autre... Et l'on sait quel chemin Marcus Nispel à choisi.
Pourtant revoir aujourd'hui encore le mythique Conan Le Barbare ne laisse planer aucun doute sur le meilleur chemin à prendre pour visualiser une grande fresque épique, une vision mature et moderne de la fantasy. Peter Jackson ne s'y est d'ailleurs pas trompé, transgressant la vision lumineuse de Tolkien pour y graver un réalisme plus brut, plus « Sword & Sorcery ». Un angle parfois sanglant, où en tout cas la magie n'a rien de celle d'un conte de fée, la trilogie de Jackson puisant sans réserve dans l'héritage du long-métrage de John Milius (Dillinger, L'Aube rouge, ou encore les scénarii de Magnum Force et Apocalypse Now). Star montante au début des années 80, le cinéaste remanie les origines du cimmérien, oublie les phases les plus délirantes du script d'Oliver Stone (avec notamment une armée de mutants) pour mieux s'approprier cette destinée glorieuse, l'emporter à quelques embardées de l'œuvre quasi-nihiliste, en tout cas profondément nietzschéenne. S'insinuant avec classe dans les pas de Howard, Milius creuse l'illustration guerrière de l'homme primitif (et non primaire) face à la civilisation décadente, imposant (comme tout bon réalisateur républicain) son héros comme une force individualiste.
Un Conan massif, indéboulonnable naît ainsi dans le sang et l'acier, destiné à vivre par et pour le combat sous les traits d'un Arnold Schwarzenegger silencieux et colossal. Ce n'est pas forcément sa musculature improbable qui marque, mais surtout son regard impitoyable, la sculpture de son corps et de son visage transformant l'autrichien en vision idéale du barbare, imprégnant chaque image d'une intemporalité sidérante. Avec ses cadrages sublimement travaillés révélant systématiquement une puissance d'évocation rare, le réalisateur tient là la fresque cinématographique parfaite, définitive, où, telles les gestes de la nuit des temps, l'histoire s'écrit plus avec les faits qu'avec les paroles. L'économie de texte permet ainsi à Conan le Barbare de se raconter avec une subtilité étonnante, par les regards (James Earl Jones en Thulsa Doom est magnétique), les chorégraphies musclée mais élégantes, un montage presque musical et bien entendu les compositions démentes de Basil Poledouris (Robocop, A La poursuite d'Octobre Rouge). Conan Le Barbare n'est pas qu'un film épique teinté de sorcellerie aux séquences d'action impeccables, c'est surtout un opéra aux relents wagnériens, un ballet bodybuildé aussi furieux que Le Sacre du printemps de Stravinsky.
Du coup, la « suite » produite n'importe comment deux ans plus tard par Dino De Laurentiis lui ressemble autant qu'Alan Quatermain et les Mines du roi Salomon aux Indiana Jones de Steven Spielberg. Là ou Milius livrait une vision adulte et originale d'un genre, le vétéran Richard Fleischer (20 000 Mille lieu sous les mers, Soleil Vert) privilégie une fantasy clinquante, avec plein de loupiottes qui brillent, où Conan devient un héros bavard, souvent grotesque, affublé de compagnons hystériques, voire lamentables. Celui qui avait pourtant marqué le cinéma d'aventure avec l'impeccable Vikings se prend un méchant coup de vieux en voulant séduire les gosses : dialogues crétins, gags lourdingues, décors kitschounes et effets spéciaux méchamment datés (vive le gros monstre en latex qui fait floc-floc en guise de grand final). Plus grave, le bonhomme se prend les pieds dans des ralentis inutiles et mal placés et des effets de montage comme autant de fautes de grammaire. Même l'illustre Basil Poledouris semble bien décontenancé par ce spectacle sidérant de bêtise, se contentant la plupart du temps d'accélérer sensiblement les thèmes principaux du premier film... Comme ça, l'air de rien. Dur d'imaginer que la saga pouvait s'achever aussi vite, et de cette manière. Oliver Stone voyait Conan comme un James Bond de la fantasy, revenant chaque année pour de nouvelles prouesses ; il n'imaginait sans doute pas qu'il s'enterrerait immédiatement dans la parodie. Sans aucun intérêt seul, Conan Le Destructeur trouve ainsi parfaitement sa place dans ce petit box, tel un bonus au seul et unique Conan Le Barbare.




