Légende d'Hollywood, artiste de renom apprécié et reconnu pour son talent, Edward G. Robinson n'avait pourtant rien du jeune premier. Avec sa tronche mêlant des traits de ses origines yidish et roumaine, il était bien loin des traits fins des héros des grands studios. Une caractéristique physique qui aurait pu lui fermer les portes des studios et qui pourtant va lui permettre de nourrir une filmographie riche et contrastée.
Le cinéma ne l'intéresse d'ailleurs que tardivement, ou en tout cas à l'arrivée du parlant, l'acteur préférant alors travailler la langue sur les planches. C'est finalement le film de gangster Little Caesar, signé Mervyn LeRoy en 1930, qui va le faire découvrir au grand public. Un rôle sur mesure pour sa gueule atypique, sa taille moyenne, et qui surtout lui permet d'imposer un jeu entre grandiloquence, subtilité, trouble et panache. Et si la facilité dicte alors aux réalisateurs et aux producteurs de l'époque de l'enfermer dans le polar noir, Edward G. Robinson n'aura de cesse toute sa carrière de s'échapper des cases, alternant les genres, les styles, les approches avec un talent constant. Ce n'est pourtant qu'en 1973, après une émouvante apparition dans le Soleil Vert de Richard Fleischer, qu'il reçoit un Oscar pour l'ensemble de sa carrière. Troublant d'ailleurs de revoir cette séquence d'euthanasie en sachant que ce dernier était effectivement très malade et se savait mourant. Il ne survivra d'ailleurs pas jusqu'à la cérémonie. Mais comme on dit dans ces moments là, les œuvres restent et, en l'occurrence, l'homme aura eu le mérite d'attirer vers lui certains des plus grands cinéastes de l'âge d'or, comme l'atteste avec évidence le coffret édité par Bach Films.
Ce box est aussi une bonne façon d'apprécier l'amplitude de son jeu, le voyant ici passer d'un rôle de brave homme manipulé, de détective malin et acerbe, à celui d'un austère père de famille rongé par le secret. Trois portraits, tournés successivement de 1945 à 1947 en pleine apogée de sa carrière, où il réussit systématiquement à faire rejaillir une vraie puissance émotionnelle, construisant ses personnages par de multiples couches, creusant les non-dits et les détails. Un grand, cela va de soi, dont les traits ronds et lourds sculptent le noir et blanc de la pellicule. C'est qu'au passage, le bonhomme n'est pas tombé dans les mains de n'importe qui et se retrouve ici filmé par Fritz Lang (M Le maudit, Le Tombeau Hindou...), Orson Welles (Citizen Kane) et Delmer Daves (Elle et lui, La Flèche Brisée). Le premier lui offre un drame déchirant inspiré de La Chienne (Jean Renoir), dans lequel un artiste en herbe détruit sa vie à petit feu pour les yeux enflammés de Joan Bennett. Photographié comme un film noir, écrit comme un mélo, construit comme une fable, La Rue Rouge est une merveille du genre discourant autant sur la crise de la quarantaine que sur la puissance destructrice de l'art.
Auteur tout aussi brillant et essentiel dans l'histoire du cinéma, Welles semble de prime abord un peu plus en retrait sur Le Criminel. Abordé comme une simple commande pour démontrer à ses contemporains sa capacité à se glisser dans le moule, ce thriller moral et politique suit les traces d'un criminel de guerre (Welles en personne, magnétique) dissimulé dans une petite bourgade américaine. Pas de rédemption ici, le nazi en question est une ordure psychopathe de haut niveau et le réalisateur transforme cette confrontation psychologique en combat idéologique entre le bien et le mal (la séquence finale de l'horloge). Sans doute pas l'une de ses plus grandes oeuvres (trop académique), mais déjà un excellent film. Reste enfin La Maison rouge que l'on aurait pu croire écrasé entre les deux premières références, signé par un plus discret Delmer Daves (même si Elle et lui est un sommet du cinéma romantique). Il n'en est pourtant rien. Etrange production usant autant des outils de l'horreur Universal (nuit écrasante et frappée par le vent, foret inquiétante) que du drame familial, elle oscille avec élégance entre chronique adolescente (personnages particulièrement bien écrits), thriller fantastique et œuvre psychanalytique sur la culpabilité. Parfois très moderne, en particulier dans l'illustration extrêmement sexuée des relations entre les jeunes gens, magnifiquement photographié par Bert Glennon (L'homme au masque de cire, Rio Grande), voilà une bande à redécouvrir d'urgence... tout comme la carrière du grand Edward G. Robinson dans son ensemble.



