Film à l'origine de toute la vague moderne du gothisme, Entretien avec un vampire fait partie de ces œuvres qui marquent. Ou lorsque le fantastique dépasse son genre d'origine pour tirer le portrait tragique d'une famille hors-norme, pour qui le sang est la vie.
Figure aussi effrayante que séduisante, le vampire est sans aucun doute le personnage fantastique préféré du Septième Art, et on n'en compte plus les incarnations depuis le mythique Nosferatu de Murnau. Mais peu de ces réalisations, souvent au rayon série B, ne peuvent se vanter d'avoir marqué au fer rouge l'essence même de la créature. Deux ans après le Dracula de Francis Ford Coppola (autre chef-d'œuvre du genre), Entretien avec un vampire s'écartait donc de l'illustration mythique et gothique, pour ne pas dire classique, en tentant de donner corps à l'œuvre furieusement romantique d'Anne Rice. L'originalité était alors de se moquer ouvertement de tout l'attirail habituel (crucifix, gousses d'ail, esclaves...) pour mieux ancrer l'existence de ces créatures dans le monde réel et se concentrer non sur leur aspect potentiellement effrayant, mais sur leurs états d'âme d'échoués de la race humaine, l'ennui et la douleur de l'immortalité... Un ton qui aurait pu être emprunté, lourd et faussement méditatif, si la mise en images du texte de Rice ne touchait pas autant à la perfection.
Renouant avec la finesse de sa Compagnie des Loups, le grand Neil Jordan (A vif, Crying Game) excelle dans la restitution de l'esprit dandy du XIXème siècle et dans l'évocation visuelle de la cohabitation entre le monde humain, terre-à-terre, et la vision plus « animée » des vampires. De petites touches discrètes d'une grande intelligence qui permettent de donner corps aux instants de « fureur » (Lestat mordant Louis et s'envolant dans l'extase, Louis massacrant les vampires français à coup de faux) et de légitimer un romantisme exacerbé, trouble et sensuel. Et si déjà le roman était une grande réussite, le film lui offre (malgré quelques coupes nécessaires) une ampleur inédite, élevée par les compositions d'Elliot Goldenthal, permettant de jouer discrètement sur l'analogie Vampires / acteurs hollywoodiens d'une façon des plus opportunes. Il faut dire que lorsqu'on aligne au casting des stars comme Tom Cruise, Brad Pitt, Kirsten Dunst (qui n'en était pas encore une mais affichait déjà de belles promesses), Antonio Banderas ou Christian Slater (qui en était encore une), tous impressionnants de justesse, cela facilite le travail. Difficile de trouver quelque chose à redire devant cette petite merveille de cinéma aussi sensible que puissante, si ce n'est que l'on attend toujours sa véritable suite. Parce la Reine des Damnés.... C'était pour rire, hein...C'est ça ?