Nouvelle surprise, nouveau petit chef-d'œuvre à mettre au crédit du scénariste / producteur Steven Moffat (Dr Who), Sherlock a été un choc pour de nombreux spectateurs, plus habitués à découvrir des enquêtes somnolentes que des aventures débridées et intellectuelles de cet acabit, surtout au format 3x90 minutes. Le pire ? La seconde saison fait encore mieux !
Bien malin qui aurait imaginé que des producteur anglais auraient l'outrecuidance de se réapproprier l'univers du plus grand des détectives, en l'arrachant ouvertement des mains des studios américains de la Warner. Les deux films de Guy Ritchie ont démontré avec une décontraction empruntée et des tics de réalisation trop appuyés que ce sacré Sherlock Holmes pouvait encore fasciner dans ce nouveau millénaire (merci Robert Downey Jr.). Grâce à la modernisation nécessaire de ses apparats, Steven Moffat et Mark Gatiss poussent l'idée plus loin encore, décrivant les aventures d'un Sherlock aussi odieux qu'attachant dans une Londres contemporaine. Changement d'époque, changement de coutumes, mais la première saison a fait forte impression en éprouvant le talent d'écriture des deux compères (sortis de la dernière mouture de Dr Who et d'un certain Les Aventures de Tintin pour le premier), jouant constamment entre les références de geeks littéraires sidérantes de précision, réorganisant certaines nouvelles entre elles, intégrant à la perfection les nouvelles technologies (les e-mails et sms qui s'inscrivent à l'image, le point de vue de Sherlock qui dirige la caméra) sans jamais perdre de vue l'essence prestigieuse du personne.
Le méconnu Benedict Cumberbatch (futur Kahn dans Star Trek 2 de J.J. Abrams) dans le rôle titre touche au génie, mêlant une constante rigueur avec une fébrilité maladive, des airs hautains et des manières malhabiles, donnant d'autant mieux corps au personnage qu'il contraste parfaitement avec la bonhomie de Martin Freeman (futur Bilbo le Hobbit), contrepoint autant humoristique qu'émotionnel qui redonne toute sa noblesse au Dr Watson. C'était d'ailleurs là l'enjeu de la première saison : installer avec énergie des scénarios complexes, mais légers, et surtout ce nouveau duo. Quid de la seconde saison donc, attendue par des milliers de fans laissés pantelants après un final plus que tendu ? Comme s'il fallait déconstruire tout ce qui avait été construit, Steven Moffat et Mark Gatiss (qui d'ailleurs incarne le frère de Sherlock) s'attaquent à la personnalité immuable de la création de Conan Doyle, l'obligeant à se confronter à ses propres failles, à ses émotions tant refoulées. Le duo n'hésite pas à réécrive ni plus ni moins que les trois textes les plus célèbres (Un scandale en Bohème, Le Chien des Baskerville et Le Dernier Problème), pour aboutir à de nouveaux téléfilms jubilatoires, construits en poupées russes et en puzzle de 3000 pièces, mais qui sont surtout d'autant plus fascinant qu'ils s'approchent chacun d'une menace différente : la femme, la terreur et la mort.
Et c'est sans doute pour cela que la seconde saison est encore plus réussie que la première, car libérée de ce qui était sans doute la peur de donner une nouvelle vision de ce monument littéraire et populaire. Les deux créateurs égratignent la figure de pierre et jouent avec machiavélisme de la sympathie inspirée par ces personnages. En particulier dans le superbe premier opus, A Scandal in Belgravia, superbe mise à nue (métaphorique et réelle) d'un héros désemparé devant la beauté, la sensualité et l'intelligence d'Irene Adler (sublime Lara Pulver), maîtresse dominatrice et créature insaisissable. Entre tango linguistique, duel cérébral et appel des corps, l'alchimie fonctionne d'autant mieux que la mise en scène est d'une inventivité inédite, jouant avec un ralenti extrême, des décadrages courageux et quelques dispositifs carrément renversants, faisant de ce mini-film l'un des grands moments de la télévision moderne. Même si les deux essais suivants paraîtront alors toujours un degré en deçà, ils ne sont pas en reste non plus, le second jouant aux X-Files avec une franchise rayonnante, le dernier s'imposant comme le face-à-face attendu et définitif avec le psychotique Moriarty. Le choix d'ailleurs de donner le rôle à un presque juvénile Andrew Scott révèle ici toute sa pertinence effrontée, tant l'effet de miroir déformant permet de creuser respectivement la psychologie des deux personnages d'un seul coup d'œil. En tout cas, une seule constance au cours de ces trois nouveaux épisodes : le talent, le talent, toujours le talent... Et en France, c'est quand qu'on en produit, des bijoux comme ça ?



