Un premier film remarqué à Sundance et qui, sur un sujet délicat, ose la retenue et la pudeur. Perfectible, mais il serait vraiment dommage de passer à côté, tant il marque la révélation d'un cinéaste à suivre et d'une actrice incroyable.
La difficulté, lorsque l'on est un jeune cinéaste, est sans aucun doute de ne pas céder à la facilité. Facilité du genre, facilité des références, facilité du casting, facilité des effets de mise en scène... Voilà une réflexion qu'a dû se poser Sean Durkin en entamant son premier projet de long-métrage. Mais en abordant un sujet qui pourrait être tabou (comment se reconstruire après avoir vécu au sein d'une secte ?), Durkin choisit la voie de l'intime et du souvenir, en lieu et place d'une débauche inappropriée de sentimentalisme ou de voyeurisme. S'il ne dévoile que par fragments la vie au sein de cette communauté sectaire, le film préfère s'attarder sur la relation conflictuelle de la jeune protagoniste à sa sœur et au mari de celle-ci. Ayant perdu son identité propre, comme l'indique le titre du film (Martha est son prénom, Marcy May celui donné par le gourou et Marlene celui utilisé par les filles de la secte pour répondre au téléphone), elle tente de se reconstruire, quitte à perdre parfois pied, entre fantasmes, souvenirs et réalité.
Porté par une mise en scène faussement naturaliste, dans laquelle Sean Durkin joue de larges cadrages fixes parfois parasités par de légers zooms isolant Martha des autres protagonistes, et par un design sonore immersif et trompeur, Martha Marcy May Marlene ne serait pourtant rien sans ses incroyables acteurs. Pour son premier film, la cadette des sœurs Olsen s'approprie le rôle avec un talent rare. Entre fausse candeur, naïveté désarmante et charme naturel, Elizabeth Olsen parvient à rendre palpable les tourments identitaires et familiaux d'une jeune fille tombée entre les griffes d'une figure paternelle aussi séduisante que dangereuse. Ce gourou au charisme évident, très loin des clichés inhérents à ce type de personnage, c'est le génial John Hawkes qui l'incarne, aussi marquant que dans le très beau Winter's Bone. Peu présent à l'écran, il n'en reste pas moins en permanence à l'esprit du spectateur et de Martha : il suffira d'une séquence magnifique où l'acteur chante une sublime balade à l'intention de la jeune fille perdue, pour que tout bascule. Et nos repères avec.
Portrait bouleversant d'une jeunesse dont les repères sociaux, familiaux et identitaires, pas encore établis, peuvent vaciller à tout instant, Martha Marcy May Marlene prouve qu'une histoire belle et simple, mais terriblement vraie, n'a pas besoin de fioritures pour s'exprimer. Et c'est là la marque des plus grands.
Frédéric Wullschleger



