Fin des années 80, après une petite traversée du désert, Al Pacino se faisait une nouvelle santé avec Mélodie pour un meurtre, polar sexy largement plébiscité par la critique et le public. Un thriller érotisant aux accent de films noir qui allait ouvrir la voie à une bonne vague sulfureuse dans le cinéma américain.
Il semble évident dès les premières minutes du film (avec une apparition d'un Samuel L. Jackson tout jeunot) qu'Al Pacino est ici dans son élément : le rôle d'un flic usé par la vie, par les déceptions amoureuses et la confrontation au crime dans les rues de New York. Un personnage distant, méfiant, tendance alcoolique et borderline que les yeux fatigués et la nonchalance nerveuse de l'acteur portent à merveille, contrastés par la bonhommie comique de l'excellent John Goodman et la sensualité sauvage d'Ellen Barkin. La relation entre les deux est d'ailleurs électrique, maintenue par une tension sexuelle constante, où pointe entre deux ébats une défiance, une menace. C'est que la demoiselle est justement une potentielle suspecte dans une affaire de triple meurtre. Le scénario de Richard Price (La Rançon) se montre sur ce point particulièrement habile, détaillant dans les répliques nombre d'indices contradictoires, de fausses pistes, d'allusions, et surtout jouant sur l'ambivalence des dialogues. Les parties de jambes en l'air deviennent alors autant des exutoires salvateurs pour le couple qu'un jeu de pouvoir entre dominateurs, un affrontement entre le flic et la femme fatale (?).
Plus proche du futur Basic Instinct que des opportunistes Sliver ou Color of Night et surtout du fantôme du finalement bien réac Femme Fatale, Mélodie pour un meurtre tendrait presque plus une chronique intimiste, une étude de mœurs se basant sur la difficulté de constituer un couple dans le monde moderne, qu'un polar proprement dit.
Après une introduction plutôt réussie, malsaine, où un homme nu est obligé de mimer l'acte sexuel avant de se faire tirer dans la tête sur un air de vieux standard, l'affaire a vite tendance à s'enliser volontairement. Dans les petits détails inintéressants d'abord, dans la romance de Pacino ensuite ou dans les séquences amusantes des fausses rencontres dans un restaurant de la ville. En tout cas, l'enquête ne montre que trop peu de tension par elle-même, laissant envisager sans surprise l'identité du véritable criminel bien trop rapidement, pour l'achever dans un final prévisible balayé d'un geste. La piste du faux coupable, noir bien entendu, sera d'ailleurs oublié en cours de route, malheureusement relégué au rayon des scènes coupées. Cinéaste certes assez anonyme, Harold Becker (Code Mercury, Malice, L'Intrus... euh, que du bon ?) rejoint Al Pacino quand il perçoit surtout le cœur du film dans l'exploration d'un personnage solitaire, au bord de l'effondrement, ex-mari possessif, construit comme le reflet d'une ville, New York, surpeuplée, bruyante, constamment occupée mais désincarnée.
L'incarnation de la cité à l'écran est d'ailleurs admirable, parfois même capturée au vif, et offre à ce film noir moderne, une intensité romantique et sensuelle décuplée. Film d'atmosphère, de caractère, illustration précurseur où les recherches romantique par petites annonces renvoient étrangement aujourd'hui aux nombreuses applications de rencontres, Mélodie pour un meurtre n'a finalement pour grandes failles que de mettre peu à peu de coté ses prémices de polar véritablement sulfureux, particulièrement notable dans l'utilisation de la musique. Si de son côté Trevor Jones (Dark City, From Hell) joue à la perfection sa partition jazzy, le fameux (et superbe) « Sea of Love » de Phil Phillips qui donne son titre original au film est machinalement oublié. Là ou sur des notes sucrées et nostalgique, le thriller aurait pu prendre une certaine étrangeté, s'ancrer sur les contrastes entre la violence des crimes et la douceur des notes, il ne restera que quelques courtes minutes en ouverture dont le reste du film ne saura manifestement jamais totalement quoi en faire. La faute sans doute à de nombreuses réécritures, aux oppositions d'objectifs entre la Universal, la star et son réalisateur, reste que le joli succès rencontré à sa sortie relancera spectaculairement la stature d'Al Pacino et ouvrira la porte à un autre thriller avec femme fatale au regard assassin, et bien plus maîtrisée : Basic Instinct.




