Le concept d'un reboot prématuré de la franchise Spider-Man semble tellement surréaliste que la gêne s'est propagée, une fois n'est pas coutume, bien au-delà des milieux cinéphiles. Redéfini par Andrew Garfield, Emma Stone et Mark Webb, réalisateur de la sympathique Rom-Com 500 jours ensemble, le nouveau Spidey entend bien tisser sa toile avec autant de fermeté que le personnage de Sam Raimi. Mais en a-t-il réellement les moyens ?
Menacée de se voir retirer les droits d'adaptation de Spider-Man au profit de Marvel Pictures / Walt Disney, dans le cas où un nouveau long-métrage ne viendrait pas frapper les écrans avant 2013, Sony Pictures tente d'accélérer la production d'un épisode 4 après le triomphe commercial (et le four critique) du dernier opus de Sam Raimi. Après avoir accepté de se pencher sur le script d'une nouvelle suite directe, épaulé par son duo d'acteurs vedettes Tobey Maguire / Kirsten Dunst, le réalisateur de Darkman jette l'éponge au bout de quelques mois. Les raisons diffèrent selon les témoins : tandis que les langues officielles évoquent l'impossibilité de Raimi de trouver un angle captivant pour montrer l'entrée définitive de Peter Parker dans l'âge adulte, les rumeurs veulent que les fâcheuses habitudes de la production prises sur Spider-Man 3 (ingérence dans l'écriture, le montage ou le choix des méchants) n'aient en rien disparu en coulisses du quatrième, confrontant Raimi à une nouvelle succession de compromission. Raimi, donc, s'en va réaliser dans son coin le modeste et non moins génial Jusqu'en Enfer, avant de s'attaquer au mastodonte Prequel du Magicien d'Oz. Alors que l'horloge légale tourne, le studio ne tarde pas à ressortir de ses tiroirs une ébauche de script en deux parties signée commandée à James Vanderbilt (Zodiac) durant la post-production de Spider-Man 3. Un script qui, surprise, détaille à nouveau la genèse du super-héros, à peine dix ans après la version difficilement égalable de Raimi. Lancé sur un terrain connu, et encore dans toutes les mémoires, là où Louis Leterrier avait la malice de tourner L'Incroyable Hulk comme la séquelle d'un film jamais tourné, The Amazing Spider-Man traîne dès le départ un lourd handicap ; handicap qui est loin de s'amenuiser durant les 2h17 du long-métrage.
Difficile de passer outre le jeu des sept erreurs que propose involontairement le film de Mark Webb durant ses deux premiers actes : en enchaînant consciencieusement les moments clefs de la naissance du personnage (harcèlement par Flash Thompson dans les couloirs du lycée, humiliation du Bully, sermon de l'Oncle Ben, premières interactions avec Gwen Stacey / Mary Jane, piqûre fatale, expérimentations dans le garage / la chambre, mort de l'oncle Ben, traque de l'assassin, rencontre avec un nouveau père spirituel, etc.), Mark Webb semble pousser son public à juger les qualités et les défauts de chacun ; et la comparaison, hélas, ne se montre jamais à son avantage, en dépit de compétences évidentes en termes de direction d'acteurs. Trop éclatée, la narration de The Amazing Spider-Man multiplie les personnages, les lieux, les intrigues secondaires, et le dialogue revient périodiquement sur les mêmes ressorts dramatiques alors que Raimi, dans une logique de balancement permanent d'un enjeu à l'autre, condensait l'évolution de ses protagonistes en une poignée de plans, l'ensemble formant au final une toile dramaturgique incroyablement solide (lire critique des deux premiers films - cf. colonne de gauche). Plus épisodique, mais paradoxalement plus statique (Parker n'a pas encore quitté le lycée à la fin du film), The Amazing Spider-Man dilue progressivement sa concentration, au point que la juxtaposition de scènes dialoguées et de séquences d'action (techniquement virtuoses mais rarement lyriques) se montre vite déséquilibrée. Lisse, propret, agréable sans jamais vraiment impliquer son spectateur, le film est par ailleurs tronqué par une avalanche de mémos de production totalement aléatoires, les commentaires geeks lus sur le Net durant toute la durée de la promotion étant vraisemblablement venus à bout de certaines séquences déjà dévoilées (le long plan-séquence en vue subjective du teaser, le dialogue entre Parker et le gardien de l'immeuble du premier extrait ou des dizaines de petites répliques vues ça et là dans les bandes-annonces ont totalement disparu)
A trop vouloir plaire à tout le monde, The Amazing Spider-Man ne choquera personne. Les efforts de Mark Webb pour humaniser son script on beau être évidents, ils finissent malheureusement tous par jouer contre le film lui-même. La fâcheuse habitude que prend Peter Parker de retirer son masque en toutes circonstances, à la manière du Sylvester Stallone de Judge Dredd, et son obstination à dévoiler son identité secrète à l'ensemble des protagonistes centraux (Gwen, son père, Curt Connors, Tante May) en disent long sur les errances de Webb et de ses producteurs en termes d'iconisation, le cinéaste cassant l'unité de sa silhouette et annulant tout effet de mystère durant la majeure partie des séquences impliquant Spider-Man. Spidey, ici, n'est autre que Peter Parker. La schizophrénie liée au personnage, que ce soit dans les bandes-dessinées ou chez Sam Raimi, s'en voit dès lors évacuée pour ne pas dire contredite, le tisseur devenant l'instrument bassement pragmatique de la vengeance de Parker. Sa prise de conscience vis-à-vis de ses propres responsabilités interviendra par ailleurs trop tard pour contrebalancer en dernier acte l'antipathie inspirée par nombre de ses premiers faits d'armes, une maladresse rapprochant ironiquement le film de Spider-Man 3. Reste le travail d'animation remarquable effectué par Randall William Cook (SOS Fantômes, Le Seigneur des Anneaux) sur le monte-en-l'air et le Lézard, ou encore l'idée de mettre en scène un super-héros plus fragile qu'à l'accoutumée, doté de lance-toiles friables (un concept directement issu de la BD), sensible aux chutes et aux coups de griffes, et dont le plus grand morceau de bravoure constituera ici à tisser sur plus d'un kilomètre, blessé à la jambe, jusqu'au repère haut perché de sa Némésis. Une très belle séquence, dont on aurait aimé goûter le souffle un peu plus tôt.