Malgré l'aura que préserve son précédent et célèbre giallo, Mais qu'avez-vous fait à Solange ?, Massimo Dallamano fait souvent figure de grand oublié dans l'histoire du cinéma de genre italien. Si certains peuvent s'en étonner, ce statut s'explique pourtant aisément par les approches thématique et esthétique on ne peut plus particulières du cinéaste.
Là où le giallo et le fantastique italiens de l'époque travaillaient une esthétique au maniérisme exacerbé (tous enfants de Bava et Argento) où les meurtres constituaient les moments de bravoure de production parfois un peu vides, lui cultive une approche bien plus réaliste, terre à terre et froide. A ce titre La Lame infernale (ou L'âme infernale sur de vieilles VHS), est justement une sorte de croisement extrêmement tendu entre certaines visions fantasmées des crimes sadiques si chers au giallo, et la mécanique froide et clinique d'un polar solide. La photographie scabreuse de Franco Delli Colli (Tire encore si tu peux, Zeder), les compositions à la fois baroques et cruellement ironiques de Stelvio Cipriani (La Baie sanglante), les décors glaciaux dignes d'un téléfilm allemand, le jeu presque monolithique des acteurs, les étranges sautes narratives, tout cela ne vise qu'à provoquer une sensation de malaise chez un spectateur baladé dans un labyrinthe aux longs corridors où chaque sortie révèle une réalité de plus en plus glauque. Soignant une mise en scène lente, pour ne pas dire languissante, combinant plan-séquences discrets et mouvements de caméra imperceptibles, Dallamano capture l'auditoire, l'amène à rencontrer des inspecteurs débordés, dépassés et dépités, reflets du délitement sociétal que connaissait en ce temps notre chère Italie.
Un contexte violent (nombreuses références aux manifestations anars), un état en pleine décadence, et le meurtre d'une pauvre gamine de quinze ans qui mène jusqu'à un réseau de prostitution d'adolescentes pour vieux pervers dégeulasses, La Lame infernale n'est finalement qu'une longue descente aux enfer. Véritable prolongement de Mais qu'avez-vous fait à Solange ? (l'un des titres US est d'ailleurs What Have They Done to Your Daughters ?), le film souligne la destruction de l'innocence, de la fragilité et de la beauté par une société profondément corrompue, pourrie jusqu'à la moelle et puante jusqu'à un final désespérément cynique. Du coup les fameuses apparitions du tueur ultra iconique en tenue de motard et hachoir à la main, n'apparaissent que comme un symptôme d'une maladie plus grave, abandonnant l'habituelle excitation du meurtre graphique au profit d'une violence crue, glauque et barbare. La pauvre gamine pendue avec la nuque explosée, le policier qui se fait trancher la main, la tête à moitié fendue et surtout le cadavre d'un détective privé en morceaux exposés comme des bouts de barbaque... On ne peut pas dire que Dallamano caresse le spectateur dans le sens du poil. Cela ne l'empêche pas cependant de soigner ces passages obligés, cultivant un timing indéniable, jouant fébrilement sur le montage et les gros plans. Le plus réussi restant bien évidement l'élégante et inattendue poursuite du tueur à moto dans les rues de Rome. Un film atypique, étrange mais marquant, qui sous des dehors (faussement) austères impose la patte d'un auteur fort et engagé, avec, bien entendu, tout ce qui faut de personnages déviants et d'images chocs. C'est ça aussi la richesse du giallo.





