A peine trois ans après la sortie de Blanche neige et les sept nains sur les écrans du monde entier, on aurait pu croire que l'équipe technique de Walt Disney serait épuisée, repue. Pourtant, galvanisés par le succès incroyable de ce projet historique (le premier long-métrage en dessins animés) et agacés par les défauts de leur première réalisation, ces artisans montrent une énergie incroyable sur leur second film. Oubliées les couleurs plaquées uniformément sur les celluloïds, les décors à peine suggérés et les animations flottantes. Pinocchio est déjà le film de la maturité. Aujourd'hui encore la finesse des arrières plans a de quoi faire pleurer la plupart des artistes modernes et les subtilités des expressions des personnages confèrent à l'ensemble un naturel incroyable. Surtout, les auteurs semblent s'amuser pour la première fois des possibilités des dernières trouvailles de leurs techniciens en expérimentant des « effets d'animation » franchement bluffants (fumées, lumières, liquides), en particulier lors du grand final avec la baleine Monstro où la mer démontée et l'écume des vagues sont entièrement faits à la main. Une prouesse visuelle qui transforme chaque plan en petite œuvre d'art.
Amélioration technique donc, mais aussi narrative avec cette fois-ci un véritable scénario (oui parce que Blanche Neige...) où les morceaux musicaux ne sont plus des apartés mais bien des outils dramaturgiques. Un récit dense qui s'explique sans doute par les origines mêmes du film, adapté du roman à épisodes de Carlo Collodi, accumulant rencontres improbables et aventures rocambolesques. Il ne reste forcément dans la mouture Disney que les évènements les plus significatifs - la découverte du théâtre avec l'effrayant Stromboli, l'île enchantée et le ventre de Monstro - mais ces aérations permettent du coup aux premiers sidekicks Disney de prendre vie sous les traits du moderne mais moralisateur Jiminy Cricket et surtout du duo de fripouilles Grand Coquin et Gédéon. La méthode Walt à l'état pur, qui adepte pour mieux recréer les œuvres à son image. On imagine bien que la terrible méchanceté du roman ne devait pas être à son goût (le cricket qui se fait écraser au bout d'une page, les sévices supportés par le pantin...), ni le sale caractère du jeune héros présenté comme un enfant trop gâté et cruel. Dans la version Disney, le conte initiatique est forcément édulcoré et notre cher futur « vrai petit garçon » se montre plus naïf que vraiment méchant. Un peu d'innocence qui tranche avec une ironie récurrente et quelques séquences sublimes mais effrayantes, que les enfants n'oublieront jamais vraiment. N'était-ce pas là justement le but du film ?



