Les éditeurs Artus Films nous ont dégotté un rarissime western spaghetti certifié grand cru. Datant de 1967 et s'inscrivant parfaitement dans la mouvance baroque et exaltée initiée par Sergio Leone, Bandidos marque au fer blanc et s'impose comme un percutant western de vengeance à la sauce transalpine. Au programme : coups de vice, bassesses en tous genres, exotisme et trognes burinées.
Souvenez-vous de l'année 1964. Pour une poignée de dollars sortait sur les écrans et son auteur Sergio Leone, jeune réalisateur issu des faubourgs de Rome, révolutionnait à tout jamais les films de cowboys. Il inventait même un nouveau genre : le western spaghetti. Cinéphile compulsif, Leone ne cessera dès lors de revisiter, en direct live des studios de Cinecittà, les mythologies fondatrices de l'Amérique, mais en y livrant sa vision du monde et en y dévoilant une sensibilité suprêmement italienne ; c'est-à-dire forte en gueule, haute en couleurs, extrasensorielle, parfois outrancière. Bref, une nouvelle mouvance stylistique directement héritée de l'art baroque, de la Commedia dell'arte et de l'opéra. La mode du « spaghetti » est lancée. Et avec elle une démystification en règle des idéaux hollywoodiens. L'héroïsme, les valeurs quasi-christiques de courage et d'altruisme de l'âge d'or outre-Atlantique laissent alors place à un dynamitage tout azimut. Les cowboys ne sont plus ces héros mystiques et fordiens, blocs de granit sans peur et sans reproches. Non, chez Leone et consorts, l'homme de l'ouest se meut en une créature vile et veule, un prédateur retors, revêche et bestial, une crapule à la latinité affichée, sans ligne de conduite et disposée à vendre père et mère au nom du simple appât du gain. Bandidos ne déroge pas à la règle. Il s'agit ni plus ni moins d'un hymne à la vengeance sanguinolente, une glorification explosive, vicelarde et décomplexée de la loi du talion, au cœur d'un monde régi par la devise de « l'œil pour œil, dent pour dent ».
Dans Bandidos, tout est affaire de filiation. Il y est question d'élèves indisciplinés dépassant leurs maîtres, d'éducation délinquante, de trahisons œdipiennes et de passage de flambeaux. Comble du comble, le film est signé Massimo Dallamano, un disciple direct de Sergio Leone puisque l'homme fut le directeur photo de Pour une poignée de dollars et Pour quelques dollars de plus, les deux westerns fondateurs du grand initiateur de la vague « spaghetti ». L'intrigue débute à bord d'un train violemment pris d'assaut par une meute de brigands patibulaires. Parmi les passagers chahutés, Richard Martin (Enrico Maria Salerno) se fait sauvagement mutiler par son ancien acolyte, le brutal Billy Kane (Venantino Venantini), un salopard de pistolero reconverti en tueur à gages. Humilié, le fier et digne Richie, qui fut autrefois un flingueur d'élite vainqueur d'innombrables concours de tir, noie cul sec sa honte dans le whisky frelaté et transite de tripot en saloon, la rage au ventre et les yeux injectés de sang. Il n'aura plus qu'une seule idée en tête : laver l'affront dont il a été victime et régler définitivement son compte à l'odieux Billy Kane. En partie tourné dans les studios de la ville éternelle et sur les hauts-plateaux arides de la Sierra espagnole, Bandidos suinte le sud par tous les pores. Le script, bien viril, fouette le fennec, le tord-boyaux avarié et la vieille santiag crevassée. La mort diffuse constamment une puanteur exponentielle. Les décors, pour la plupart filmés en cinémascope, se démarquent par leur aspect menaçant et fort peu accueillant (grandes plaines désertiques, bourgades peuplées de repris de justice imbibés et armés de colts avec de la poudre plein le barillet). Quant aux protagonistes, ils composent des antihéros diminués et boiteux, une risible bande d'éclopés rongés par le vice, la colère ou le remords. Puissamment incarné par Enrico Maria Salerno (un prestigieux acteur issu du théâtre, peu connu en France mais véritable star en Italie), Richard Martin troque son élégant costume trois pièces d'ex-tireur d'élite contre des guêtres crasseuses de saltimbanque itinérant. Durant son épopée vengeresse, il se lie d'amitié avec Ricky Shot (l'Américain Terry Jenkins), brillant « tireur de foire ». Parviendront-ils à dézinguer une bonne fois pour toute l'obscur Billy Kane, campé par Venantino Venantini habitué des rôles de second couteau et aperçu notamment dans Le Corniaud ou Ne nous fâchons pas ? Bien évidemment. Et avec pertes et fracas ! L'équipe de bras cassés prend parfaitement corps devant la caméra de Dallamano. Grâce à sa photographie grand luxe, son sens du cadre et ses séquences dilatées jusqu'à l'os, alternant plans larges et très très gros plans, marque de fabrique du western italien, le cinéaste (qui se distingua également dans le polar, le « giallo » ou le film d'épouvante) nous offre une méditation particulièrement futée et signe une tragédie antique mixant dans une même casserole rouillée quête cornélienne et périple rédempteur. Le sens de l'honneur s'y cuisine « al dente », saupoudré de piments rouge-sang.





