Un grand artiste n'est jamais mort. Et si certain n'arrive pas à appréhender son tardif The Ward, reste que son dernier grand sprint des années 90 contenant Le Village des damnés, Los Angeles 2013, Vampires et s'achevant sur le bordélique Ghost of Mars avait tout d'un baroud d'honneur survoltée. Un sorte de nouvelle jeunesse annoncé par l'incroyable L'Antre de la folie.
Dès ses débuts, la carrière de John Carpenter aura été en dents de scie. Utilisant le système hollywoodien pour obtenir des budgets plus conséquents sans toutefois jamais trahir son propre cinéma, le metteur en scène de films aussi cultes que The Thing a toujours gardé cette image de franc tireur. Lorsque arrive sur son bureau, au milieu des années 1990, l'étonnant scénario de Michael De Luca (dont la seule prouesse alors avait été d'anéantir la licence des Freddy avec le 6ème chapitre), Carpenter est une nouvelle fois délaissé par les studios. Suite à un affrontement direct avec la Warner et l'acteur Chevy Chase sur le tournage des Aventures d'un homme invisible et l'échec flagrant du pilote de ce qui aurait dû devenir la série Body Bags (en collaboration avec Tobe Hooper, Wes Craven, Sam Raimi, etc.), l'auteur n'est plus vraiment sollicité par les producteurs. Certains auraient jeté l'éponge, lui y puise justement la force de se lancer dans un projet aussi détonnant que L'Antre de la folie, film d'horreur quasi-définitif (est-il possible de faire mieux ?) doublé d'une expérience percutante sur la force de création et la fragilité de la réalité.
Car bien évidemment, In The Mouth of Madness (titre original) est loin d'être un film d'horreur comme les autres. Usant de tous les artifices d'un genre qu'il connaît par cœur (ombres se déplaçant au premier plan, effets de montages équivoques) et reprenant sous forme d'hommage le bestiaire et les obsessions du romancier H.P. Lovecraft (L'affaire Charles Dexter Ward, Dagon), Carpenter livre certes un métrage efficace, rivalisant de tension et d'images cauchemardesques, mais repousse avant tout son sujet dans ses derniers retranchements. Dissertant dans une première partie sur la possibilité d'une transformation du réel par la puissance évocatrice du romancier Sutter Kane (brillant clin d'œil à Stephen King et Clive Barker), le film, habité par la performance inoubliable de Sam Neil (acteur trop souvent sous-exploité), se met progressivement à se questionner lui-même. Le personnage cartésien de John Trent, au-delà de sa fonction purement narrative de héros peinant à croire au surnaturel, va, à l'image de Snake Plissken dans Los Angeles 2013, prendre conscience au final qu'il fait lui-même partie d'une fiction non pas dirigée par un romancier schizophrène mais bien par une force supérieure, habile et machiavélique : le réalisateur. Par ce retournement final inédit et d'une ambition démesurée (combien se seraient vautrés dans les effets de style lourdingues et l'intellectualisme pompeux), L'Antre de la folie fait de nous, spectateurs, des parties intégrantes du métrage et explose par-là même toutes les frontières du médium. Réussissant à faire avancer plus que jamais le cinéma de genre (ne rigolez pas, Wes Craven ne s'en est toujours pas remis) tout en livrant un spectacle réjouissant, entre comédie et horreur graphique inventive, le 16ème film de John Carpenter s'installe confortablement parmi les grands classique du Septième Art. Un OFNI totalement maîtrisé, dont la richesse survit immanquablement aux multiples visionnages. Mais attention, ce film pourrait rendre fou les spectateurs insuffisamment préparés à ce qui les attend...



