N'en déplaise aux insupportables One Direction et leur meute de fans sans culture musicale (et pour cause), le groupe The Who n'a pas connu son heure de gloire lors de la reprise de leurs tubes pour les génériques des différentes séries des Experts, ou dans le pompage éhonté de l'introduction de Baba O'Riley par les décérébrés à mèche.
Dans les années 60, The Who était tout simplement le groupe iconique de la nouvelle génération (l'inoubliable morceau My Generation), véritables bêtes de scène et précurseurs de la vague punk. Et au menu de leurs prouesses, il y a Tommy premier vrai Opera Rock de l'histoire (le premier qui parle de Kamel Ouali se prend un coup de boule) constituant en 1969 un concept album envoutant et expérimental composé par le génial Pete Townshend (avec des thématiques étrangement très proche du futur The Wall de Pink Floyd). Un succès colossal relayé par une critique enthousiaste qui aboutira alors quelques années plus tard à une adaptation cinématographique dirigée par le décadent Ken Russell, devenu incontournable depuis le polémique (et toujours pas visible dans son montage uncut) Les Diables. Tout droit sortit de sa délirante vision de Mahler, le cinéaste approche Tommy comme un véritable opéra new age, avec toute la flamboyance et les excès que cela implique. Il faut dire que le matériau d'origine est déjà particulièrement barré : un jeune garçon traumatisé après avoir assisté au meurtre de son père par sa mère et son amant devient aveugle, sourd et muet mais finira par devenir un gourou grâce à sa maitrise du flipper ! Au premier degré c'est absolument n'importe quoi, et le réalisateur s'en empare balançant le spectateur dans un maelström de visions déglinguées, mélange d'imageries christiques et psychédéliques, où le mauvais goût (la fameuse séquence du bain dans les bean en sauce) et le baroque sont poussés à un tel niveau que cela frôle le génie pur.
Les puristes du groupe pestent encore et toujours sur les modifications apportées aux compositions pour se plier aux commodités du cinéma, entre quelques sections ajoutées et surtout une réorchestration (avec clavier) qui pousse vers le pop-disco, mais il faut reconnaitre qu'en termes de spectacle déglingué, Tommy y gagne clairement, trouvant dans des guest faramineux comme Eric Clapton (en chef de secte évangéliste), Elton John (pour un Pinball Wizard hilarant) ou Tina Turner en pute droguée jusqu'à la moelle (The Acid Queen) des performances inoubliables. Pas en reste, les membres du groupe sont omniprésents, parcourant le métrage en tenues de scène, avec tout de même les prestations remarquées du chanteur Roger Daltrey dans le rôle titre et un inoubliable Keith Moon (le batteur) en tonton pervers. Un joyeux et provoquant bordel dont finalement les véritables stars ne sont pas celles que l'on attendait, le métrage étaant totalement habité par le couple irresponsable formé par l'hystérique Ann-Margret (considéré comme la Elvis au féminin) idéale pour les troubles œdipien, et le colossal Oliver Reed (La Nuit du loup-garou, Gladiator) en beau-père je-m'en-foutiste et véritable contrepoint comédie à la débandade générale. C'est qu'au delà du spectacle psychédélique annonçant les décennies à venir de clips MTV (forcément en dessous), Tommy est un véritable concentré des préoccupations des années 70, de la société de consommation aux refus de la formalisation des pensées (capitalisme, religion, star-system) passés à la moulinette d'un satyrisme outrancier. Entre The Who et Ken Russell, le film tombe parfois généreusement dans le trop plein, à la limite de l'indigestion colossale, mais fait date comme un OFNI au culte absolument mérité.



