Pour appréhender Transformers d'un point de vue critique, il faut déjà savoir que lorsqu'un metteur en scène lambda boucle une vingtaine de plans par jour de tournage, Michael Bay en aligne près de 75. Certains cinéphiles ricaneront de cet état de fait et auront tout à fait raison : c'était à peu près le rythme de croisière d'Edward Wood Junior sur Plan 9 From Outer Space.
Quand Michael Bay filme, il ne réfléchit pas. Brodé à l'instinct autour d'un script égrainant quelques pistes thématiques intéressantes sans toutefois en approfondir aucune, Transformers appartient à 100% à son réalisateur, au point que des pans entiers semblent issus de ses anciens films. Une brève poursuite entre une Camaro et une voiture de police reprend exactement les mêmes cadrages qu'une scène similaire du dernier acte de The Island, un travelling circulaire cite directement un gunfight de Bad Boys 2, des astéroïdes s'encastrent dans la terre ferme à la manière de ceux d'Armaggeddon, l'intelligence militaire se bouscule en contre-plongée devant des écrans géants en lançant occasionnellement des « God help us ! » tandis que les GI, tanks, chasseurs, jeeps, croiseurs et porte-avions de l'armée américaine s'activent devant des couchers de soleil sur fond de tambours héroïques... Pour ponctuer le tout, Bay recycle des dialogues entiers de Rock, en leurs temps inspirés de Delta Force 2 (« les GI, ces gars-là, ils assurent comme des bêtes ! » ; « pas de sacrifice, pas de victoire ! » et tutti quanti.). Nous voilà en terrain connu.
Ces données déjà assimilées depuis longtemps par le grand public grâce à la magie du marketing, et que Bay ne s'applique même plus à habiller de la moindre intention cinématographique, on les retrouve plus décomplexées que jamais au sein de Transformers. Bay avance ici avec une liberté totale et nous sert précisément ce qu'il a toujours rêvé de nous servir, et qui avait pu être « bridé » par ses producteurs d'antan. Libéré d'un Jerry Bruckheimer à l'ambition démesurée (aussi calibrés et mauvais fussent-ils, Rock, Armaggeddon et Pearl Harbour visaient tous plus haut que leurs capacités artistiques réelles, sans toutefois renier leur politique de l'efficacité à tout prix) et d'un Steven Spielberg dont la participation s'est visiblement concentrée sur le concept initial (on retrouve des bribes ici et là, de l'enlèvement d'un extraterrestre par des hommes en noir à une rencontre nocturne entre une petite fille et un robot géant), Michael Bay laisse ici parler ses tripes. Et le résultat n'est pas, loin s'en faut, aussi brillant qu'on a bien voulu nous le faire croire.
Transformers est déjà mensonger dans son argument de départ. La trajectoire du gamin mal dans ses pompes qui se transforme en héros est traitée par-dessus la jambe par un Michael Bay qui s'identifie plus volontiers au Quaterback du lycée, arrogant, dragueur et bâti dans du marbre. Même constat pour les robots eux-mêmes, ramenés d'emblée à l'état de jouets désincarnés alors que tout, et particulièrement leurs ‘déguisements' (des véhicules des forces de l'ordre dans le cas des bad guys !), appelait à une réflexion de société. Embarqués dans un mariage improbable entre American Pie et Top Gun, ces machines d'un autre monde ne trouvent jamais ni légitimité, ni place. Il y a plus grave : dans sa conception même et la perception du Septième Art qu'il demande au grand public actuel, Transformers tend à annihiler les fondations d'un genre, le divertissement populaire, dont une poignée de génies du XXème siècle (Michael Mann, John McTiernan, Tsui Hark, John Woo, James Cameron et Steven Spielberg) se sont faits les porte-étendard. Horripilant et impensable sur le fond (un robot se soulage la vessie sur John Turturro, c'est dire !), Transformers atteint des cimes inédites en ce qui concerne son inanité scénique, voire graphique. Le film ne contient ainsi guère de scène d'action à proprement parler, Bay ne faisant que dilater sur des bobines entières des instants de destruction massive indépendants les uns des autres, et dénués de toute progression dramatique. L'acte final en est l'illustration parfaite : tout y explose dans un maelström de débris et de fumée, des méchas au design inintelligible (il est où le cu-cul, elle est où la tê-tête ?) font des galipettes en plein trafic, des voitures volent aux quatre vents, mais jamais ô grand jamais le spectateur n'est en mesure de décrire ce qu'il voit, qui il regarde où quels enjeux animent les péripéties.
Dans sa logique de fourre-tout spectaculaire, qui force le cinéaste à pousser la surenchère jusqu'au ridicule (il faut voir ce plan en bullet-time cadré sous les narines d'une civile en détresse), Bay libère définitivement ses pulsions misanthropes, avec un je-m'en-foutisme inquiétant dans sa confrontation à l'Histoire. Ainsi, de la même manière qu'il éludait purement et simplement le rapport entre les chambres à gaz de The Island et l'Holocauste (réécoutez son commentaire audio), le bougre ose aujourd'hui filmer le crash d'un jet dans un gratte-ciel, et le chorégraphier à des fins excitantes. Que des centaines de vies s'éteignent aussi soudainement importe finalement peu, la caractérisation du film faisant dès les premières images le tri entre les survivants obligatoires et les cadavres potentiels. Le montage ne s'en cache même pas : en premier acte, alors que des figurants arabes périssent dans les pires souffrances en arrière-plan, un GI se retrouve aux prises avec un téléopérateur hindou dont le mêt favori provient de son propre conduit nasal. Rire général et applaudissements dans la salle. Que les fans se rassurent, Michael Bay reconnaîtra et protègera les siens. Il met d'ailleurs directement en scène ce qu'il considère être son public type au terme d'une petite heure : un petit gros visiblement très beauf, dont la réaction première devant une pluie de météorites donne à peu près ceci : « ça déchire encore plus qu'Armaggeddon » ! Les spectateurs appelés à s'exprimer sur Transformers, voire sur la majorité de la production hollywoodienne à venir, n'ont plus qu'à se demander s'ils souhaitent vraiment ressembler à ça.