Il aura donc fallu que Michael Mann sorte son Public Enemies pour qu'un éditeur francophone se charge enfin de distribuer une copie DVD (ne parlons même pas Blu-Ray) du premier long-métrage signé John Milius : Dillinger. Une biographie héroïque et virile assourdie de bruits de mitraillettes et de pneus qui crissent. Un truand certes, mais aussi l'un des derniers grands héros de du mythe américain.
Petit truand d'Indianapolis, John Dillinger prend de l'envergure sous le coup de la crise de 1929. Autrefois en pleine expansion et en voie d'urbanisation, l'Ouest redevient temporairement sauvage et les braqueurs de banques et autres gangsters la main sur le revolver font surface sur tout le territoire de l'Oncle Sam. Figure moins romantique que Bonnie & Clyde, Dillinger, malgré sa propension à la violence et au crime, prend la forme d'un exutoire pour la population qui le consacre comme un héros. Un décor de chaos complet, où Milius, alors scénariste à succès de Jeremiah Johnson (Sydney Pollack) et Juge et Hors-la-loi (John Huston), explore sa fascination pour le western en citant avec respect son maître à penser : Sam Peckinpah. Difficile effectivement de ne pas reconnaître dans cette course poursuite d'un autre temps entre Dillinger & co et un représentant du gouvernement (G-Man) le ton crépusculaire de La Horde Sauvage... surtout quand le jeune réalisateur en reprend les deux principaux interprètes : Warren Oates et Ben Johnson. Ici aussi il est question de respect entre deux adversaires, de morale couillue, de fin d'une époque et de grand final en forme de gunfight orgiaque.
Mais pour son premier long-métrage, le futur cinéaste de Conan le barbare et L'Adieu au roi installe aussi durablement sa patte et ses thématiques profondes en livrant le portrait d'un homme moins « mauvais » qu'épris de liberté. Un Dillinger qui construit aux travers de ses errances, de ses faits d'armes, de ses échecs et de l'obsession de son image, sa propre légende. Une gloire que lui jalouse d'ailleurs son traqueur Pervis, sorte de shérif vindicatif qui restera à jamais oublié dans son ombre malgré son utilisation visionnaire des médias. Un vrai souffle épique en somme, que Milius inscrit à la fois dans des échappées esthétiques renouant avec le film noir des années 30 (encore un fan d'Howard Hawks) et dans une déconstruction sublime usant d'un montage du contraste comme le Godard de la belle époque. Formellement brillant, Dillinger est donc autant un biopic précis, voire presque éducatif, qui retrace toutes les grandes étapes de la vie sanglante de l'ennemi public, qu'un manifeste « Nouvel Hollywood » prônant l'évolution nécessaire du cinéma de genre et un film d'action de haute volée. Le trop rare John Milius inscrivait donc pour un premier essai un vrai coup de maître.