Artus Films sort les armes et lance une nouvelle collection dans sa gamme déjà bien chargée, avec un détour vers le polar italien typé 70's. Une période noire, crue et violente dans laquelle les héros d'antan se noyaient sous la corruption et la violence. Beaucoup de films primaires, forcément, mais aussi quelques perles comme le musclé et tendu Big Racket.
On refait un petit cour d'histoire simple et nécessaire : au cœur des années 70 l'Italie est plongée dans une vague de violence sans précédent, subissant les assauts du petit banditisme, le terrorisme sanglant de l'extrême droite et des anarchistes, tandis que la classe politique, très occupée à percevoir les dessous de table, fait la sourde oreille. Inspiré très logiquement par les très américains Dirty Harry et Un Justicier dans la nuit, le cinéma italien devient inévitablement un reflet de sa réalité sordide, tout autant qu'une réappropriation d'un genre, nommé dans la foulée poliziottesco. Un pot pourri, comme toutes les grandes vagues du ciné bis italien, généralement construit sur les mêmes trames, mais où tout de même quelques cinéastes consciencieux, malins et/ou doués réussissent à tirer leur épingle du jeu. C'est, sans grande surprise, le cas avec l'artisan Enzo G. Castellari, petit génie du film d'exploitation qui papillonne du western (Django porte sa croix, Keoma), du film de guerre (Inglorious Bastards) au post-apo (Les Guerriers du Bronx) sans faillir. Sa mise en scène sèche et ses visions crépusculaires se marient à merveille avec le polar local comme l'attestent Le Témoin à abattre ou Action Immédiate, mais surtout Big Racket, sans doute l'un de ses meilleurs films. Lui qui vise en général une efficacité franche et directe, semble ici furieusement inspiré, déployant une réalisation solidement cadrée, mais se permettant quelques envolées stylistiques plus rares comme des ralentis maniérés et chorégraphiés, un montage malin et puissant, une scène d'évasion brillante en vue subjectif et un final titanesque qui fleurte avec Sam Peckinpah. En pleine possession de ses moyens, Castellari mélange élégance et brutalité pour donner corps à un scénario implacable, à la construction mathématique, déchargeant ses bastos une à une, pour une incroyable montée en puissance.
Les détours sont surprenants et avisés, et Big Racket scrute méchamment la lente et terrible chute dans une violence déraisonnée d'un quartier de Rome harcelé par un gang de racketteurs, muré dans la loi du silence et abandonné par une justice sourde et aveugle. Bien entendu au milieu de tout cela se dresse l'immuable et carré Fabio Testi (Revolver, Mais qu'avez vous fait à Solange ?, La Guerre des gangs), flic aux méthodes de moins en moins légales, qui désespère devant son impuissance. Le Charles Bronson rital est parfait ici, forcément un poil réac sur les bords, plus même que le film lui-même qui justement réussit a se détacher des débordements idéologiques habituels du genre, à la fois en montrant un gang totalement dénué de revendication, mais aussi par le biais de deux séquences révélatrices : l'une où cette bande de jeunes sadiques se fait passer pour des pseudo-révolutionnaire afin d'échapper à une enquête, l'autre, brillante, dans laquelle les mêmes poussent une foule abrutie à lyncher un jeune braqueur. La barbarie n'a que de fausses opinions et de multiples visages, bien entendu nourris par de hautes instances manipulatrices, dormant dans le même lit que la mafia. Un métrage brut de décoffrage et terriblement généreux sur la violence (en particulier dans la version uncut retrouvée par Artus Films), accumulant meurtres, tortures et viols, et qui d'un polar froid va se transformer en authentique vigilant-movie dans un dernier tiers en mode western réunissant père de famille, anciennes victimes et truands trahis dans une ultime, et terminale, chevauchée sauvage. Un film rigoureux, impitoyable, qui outre la gueule charismatique de Testi, invoque un casting idéal, avec le truculent Vincent Gardenia (Un Justicier dans la ville, La Petite boutique des horreurs), un étonnamment sobre Salvatore Borghese (habitué des farces avec Terence Hill et Bud Spencer), le métallique Orso Maria Guerrino (Keoma, La Mémoire dans la peau) en tireur d'élite et une diabolique Marcella Michelangeli (Calibre 44). Une classe impériale pour un thriller couillu.




