Souvent cité par les connaisseurs et classé parmi les films préférés de Martin Scorsese et Guillermo Del Toro, La Falaise mystérieuse est un jalon important, mais oublié, du cinéma fantastique. Un authentique film de maison fantôme, un des premier si ce n'est LE premier, dont les émanations se révèlent aujourd'hui encore impressionnantes.
Pourtant, et ce malgré un vrai joli succès à sa sortie, cette production hollywoodienne fut quelque peu oubliée aux cours des années. Sans doute parce que le reste de la carrière du réalisateur Lewis Allen ne s'est jamais montrée du même niveaux, ou que l'essai était une tentative assez unique à la fois pour la Paramount, alors spécialisée essentiellement dans les films légers, et pour le cinéma de genre américain, où les fantômes se révélaient la plupart du temps de vastes complots à la Scooby-doo. Cependant, The Uninvited ne sort pas de nulle part. Du roman de Dorothy Macardle tout d'abord, mais aussi d'une envie de répondre aux célèbres productions RKO de Val Lewton (La Féline, La Septième victime), impressionnantes par leur soins esthétiques et le sérieux de leurs approches. Pas question donc dans La Falaise mystérieuse de traiter le fantastique par-dessus la jambe, Lewis Allen embrasse immédiatement son sujet, ouvrant le métrage sur le plan évocateur de la fameuse falaise, martelée par les vagues, alors qu'une voix off évoque un monde intouchable, un surnaturel insaisissable. Lorsque l'école américain s'amuse des ghosthouse en bazardant généreusement tous les clichés attendus (squelettes, cryptes, toiles d'araignées...), ce dernier semble surtout marqué par une identité plus british, plus subtile, où l'essentiel des évocations de l'au-delà ne s'apercevront que par quelques détails. Un bouquet de fleur qui se flétrit, une mélodie au piano (devenue un célèbre standard de jazz) qui se fait plus lugubre, des pleurs au cœur de la nuit, des sensations évoquées d'un spleen, des senteurs sans origine ou un froid qui saisit, voilà comment les esprits de La Falaise mystérieuse s'incarne le plus souvent à l'écran.
Aidé par la photographie habile de Charles Lang (Certains l'aiment chaud, Charade), jouant des contrastes entre la lumière naturelle et des intérieurs éclairés à la bougie, le réalisateur impose avec brio une atmosphère inquiétante, mais toujours avec un soupçon de romantisme gothique, hérité là encore, des grands classiques de la littérature anglaise. Si au final le (ou les) fameux fantôme apparaitra bien à l'écran, suite à une exigence des producteurs, le résultat est magnifique grâce à des effets spéciaux élégants, voir invisibles, et un design aussi simple que poétique. Une image qui laissera des traces jusqu'à des séquences très célèbres des Aventurier de l'arche perdue et Poltergeist ! Un beau film fantastique, légèrement teinté de film noir (mini-enquêtes, éclairages en clair obscure) mais aussi de comédie. Reflet certain de son époque et de son studio, The Uninvited mélange allégrement les genres, laissant au décontracté Ray Milland (Le Poison, Le Crime était presque parfait) le soin d'apporter une vraie touche de légèreté, une note d'amusement, mais aussi un soupçon de romance avec la superbe Gail Russell (Le Réveil de la sorcière rouge), jeune femme hantée mais tellement désirable et fragile. Un contraste qui peut parfois de décontenancer le spectateur, se croyant en zone de sécurité, mais qui empêche aussi une certaine montée en puissance, donnant au métrage un rythme assez égal tout du long.
Jamais bien loin du superbe Rebecca d'Alfred Hitchcock, et ce jusque dans les évocations d'amours saphiques interdits, La Falaise interdite n'est pas un chef d'œuvre inattaquable, mais reste une exploration originale et sans détour de la fameuse maison fantôme, dont on ressent encore l'impact aujourd'hui.




