Bad Robot Productions, est ici à la manœuvre, dans le plus pur style de l'industrie cinématographique reine du marketing. J.J. Abrams, son créateur et grand communiquant en chef, fort de ses succès télévisuels (la société a notamment produit les séries Lost ou Fringe ) ainsi que de ses blocksbusters cinéma ( Star Trek, Mission Impossible ou le dernier Star Wars ), se lance ici visiblement dans la création d'une sorte d'une franchise maison, bien plus subtile.
L'effet d'annonce et le silence soigneusement gardé autour de 10 Cloverfield Lane jusqu'à sa sortie, 8 ans après celle du très inattendu Cloverfield, ont bien fonctionné. Cloverfield fut un Objet Cinématographique Non Identifié, qui marqua les esprits. Son originalité principale: le film était sensé être une archive vidéo de l'armée américaine, composée de l'intégralité d'une cassette vidéo provenant d'un caméscope privé. Un film rush en quelque sorte, caméra subjective continue, coupes uniquement justifiées par le récit et flashbacks utilisant le principe des images fantômes apparaissant entre deux séquences suite à un visionnage rembobinage, ou à un changement de batteries par exemple. Un film qui rappelait à tout amateur de "camescopage" de fêtes d'anniversaires, bien des souvenirs. Sauf qu'au milieu du soufflage de bougies et des vannes potaches, tout d'un coup, la ville se mettait à s'écrouler autour des fêtards : la ville était en réalité attaquée par ni plus ni moins qu'un alien géant et indestructible. Le film et la cassette se terminant sur une fin ouverte laissant en suspens le devenir des personnages et... du monstre. Tout ceci suggérait ou en tout cas permettait une suite.
Mais la cohérence de cette "série", si l'on considère que 10 Cloverfield Lane suit bel et bien Cloverfield, tient essentiellement à la production, à sa politique de communication autour des films en question et au gimmick d'un monde attaqué dans lequel les personnages se débattent sans savoir réellementt ce qu'il se passe autour d'eux. Mis à part cela, rien ne relie les deux films. Ni les réalisateurs: Matt Reeves pour Cloverfield et Dan Trachtenberg pour 10 Cloverfield Lane (l'un comme l'autre étaient d'illustres inconnus venant de la réalisation publicitaire ou télévisuelle). Ni les acteurs, un peu plus bancables dans 10 Cloverfield Lane, qui offre à l'excellent John Goodman (l'inoubliable "Walter Sobchak" du Big Lebowski des frères Coen), l'occasion d'une sortie hors du monde impitoyable de la comédie; mais par contre confirme Mary Elizabeth Winstead dans sa panoplie de "Scream Queen" encore une fois maltraitée... Ni encore le lieu, Cloverfield est en plein centre ville grattecielleux tandis que le 10 Cloverfield Lane se situe au milieu des champs, au bord d'une route de campagne. Ni la technique narrative qui bascule du "caméra au poing" de Cloverfield au huis clos de facture classique du 10 Cloverfield Lane où le spectateur retrouve le point de vue confortable de son fauteuil de cinéma. La seule unité de cette "série" reste bel et bien sa production, une "franchise" Cloverfield donc, qui semble fonctionner et dont la fin de 10 Cloverfield Lane nous laisse forcément à penser qu'elle a de beaux jours devant elle.
Oui, tous aux abris les amis devant un monde qui s'écroule! Survivalisons gaiement! Mais prenons garde que le mal que nous fuyons ne soit pas en nous! 10 Cloverfield Lane, au delà de son évidente destinée commerciale formatée, évoque encore une fois nos angoisses apocalyptiques et le phénomène survivaliste ( sur le sujet voir Take Shelter de l'excellent Jeff Nichols ). Portrait à la hache de notre société de surconsommation hantée par le manque. Passé le premier choc traumatique de l'attaque surprise et massive qu'on subit les personnages de Cloverfield, il est temps, avec 10 Cloverfield Lane de placer le spectateur devant la problématique de survie de celles et ceux qui ont survécu à la première vague. Confinés, les rescapés contraints au huis clos doivent alors affronter leurs démons personnels et découvrir à leurs risques et périls ceux de leurs compagnons d'infortunes, finalement peut être tout aussi effrayants que ceux des monstres destructeurs.
Howard Stambler, le personnage de John Goodman, est en tout cas un parfait survivaliste, catastrophiste que la catastrophe renforce dans ses convictions. Un homme qui a construit et aménagé coquettement un abri façon hobbit "au cas où", dans lequel il peut désormais accueillir et abriter ses compagnons d'infortune. Mais le bienveillant précautionneux montre rapidement un autre visage qui nous projette dans un autre huis clos, datant des années 80, dans lequel une infirmière serviable secourait son romancier préféré... Et le survivaliste du 10 Cloverfield Lane prend des traits bien similaires à l'infirmière de Misery. Mais à la différence du thriller de Stephen King, le salut n'est pas à l'extérieur du 10 Cloverfield Lane, car si le danger menace les personnages enfermés dans leur abri, un autre danger rôde à l'extérieur, invisible durant tout le film, il ne prendra corps, comme dans Cloverfield, qu'à la dernière minute, marquant le film du sceau de la franchise. La logique voudrait que le prochain opus nous ouvre les perspectives de l'organisation à venir d'une résistance à l'invasion. Une invasion dont nous ne découvririons la véritable forme qu'à la fin du film non?
Un film "franchisé" qui s'appuie sur le succès d'un précédent en reprenant certains éléments de la recette, mais en changeant aussi suffisamment d'ingrédients pour que le produit ait tout de même sa propre identité. Un film de genre à la mise en scène aussi classique qu'efficace et qui réussit à sortir du cadre grâce aux gimmick de la franchise. Bref une réussite en terme de marketing et de cohérence, à voir entre deux après-midi à creuser le jardin pour construire l'abri...








