Artiste scruté quasiment dès ses débuts par la rédaction des Cahiers du cinéma, mais vite réduit par la suite à un auteur un peu trop polisson pour être honnête, Walerian Borowczyk, adepte du grand écart acrobatique, continue aujourd'hui encore de fasciner et de nourrir les passions... Carlotta n'hésite d'ailleurs pas à lui consacrer un luxueux coffret digne des incontournables.
Un véritable honneur lorsque l'on voit la beauté de l'objet, mais d'une certaine façon à la hauteur de la carrière étrange, libre et atypique de cet artiste protéiforme venu de Pologne. Fervent défenseur de la forme courte, qu'il aborde comme autant d'essais, d'expérimentations formelles, Walerian Borowczyk passe allègrement des prises de vue réelles à l'animation, souvent rudimentaire, et mélange régulièrement le tout pour une multitude d'expériences cinématographiques parfois aussi vaines que lumineuses. Une sensation de cadavre exquis, de découpages et de collages (qui marquera clairement les segments de Terry Gilliam chez les Monty Python) dont on peut voir Théâtre de Monsieur et Madame Kabal comme une forme d'aboutissement. Comme tous ses autres longs métrages à venir, l'objet n'aura cessé de changer de formes, de varier de longueur et d'objectif avant d'atteindre cet espace de spectacle foutraque, poétique, délirant mais aussi parfois effrayant dans lequel un couple improbable tente de faire vivre le film malgré une absence d'intérêt total. Ionesco, Beckett, les branques du mouvement Panique... Borowczyk ne cherche pas le sens, mais les sens, comme un manifeste de la carrière à venir.
D'ailleurs, si ce « Théâtre » est son seul long métrage d'animation, il en gardera toujours une trace dans sa représentation en « aplats » du monde. Peu ou pas de profondeur, ses personnages traversent l'écran latéralement, comme au théâtre, constamment écrasés par des décors peints en arrière-plans, mais constitués d'autant de portes cachées, fenêtres et cadres. C'est particulièrement prégnant dans le très beau Blanche (visuellement son film le plus abouti), réinvention admirable de la scénographie et de l'art visuel médiéval, dont les cadrages fins et pointus constituent aujourd'hui encore une prouesse. Insaisissable, Borowczyk n'hésite d'ailleurs jamais à couper ses personnages, les mouvements, pour mieux se concentrer sur l'intérêt principal du dispositif. On parle souvent de son cinéma comme d'un cinéma érotique, sexuel, il est pourtant bien plus politique, engagé, figurant la destinée de cette jeune fille fragile au vieillard Michel Simon, comme d'une évocation plus générale de la misogynie, du patriarchalisme, et le moteur délirant vers un massacre annoncé. Ses scénarios, oscillant entre les immenses silences et un flot de paroles noyant presque le spectateur, fonctionnent en effet comme des machines bien huilées, faites de mouvements, d'aller-et-venus, qui habitent l'écran, imposant une logique abstraite et mathématique, dont les personnages semblent vouloir s'extraire tout en restant, presque inévitablement victimes. Une question au cœur de l'inaugural Goto l'île d'amour, poème en noir et blanc sur le totalitarisme, comédie noire dans un décor post-apocalyptique, qui pourrait presque être vu comme le versant adulte du Roi et l'oiseau de Paul Grimault.
Entre tragédie et farce acide, réflexion philosophique poussée et mise en forme de pulsions moins avouables, le bien plus tardif Dr Jekyll et les femmes se pose là. Hésitant entre discussions bourgeoises et visions hypnotiques d'un Udo Kier se perdant dans un flou animal, cette variation inattendue autour du classique de Robert Louis Stevenson, pourrait parfaitement résumer tout le cinéma du monsieur : fulgurances purement cinématographiques, érotisme brulant comme arme anarchique, mais aussi direction d'acteur malhabile, errances laborieuses, excès d'intellectualisme... Ses films ne sont pas à mettre entre toutes les mains, tout simplement parce que leur jusqu'au-boutisme, n'est pas fait pour plaire à tout le monde. C'est en l'occurrence un peu ce qui provoquera sa «chute» ou dans le meilleur des cas une véritable incompréhension, lorsqu'il signera son film en quatre tableaux, Contes immoraux, suivi par le trop long La Bête (au départ le 5ème sketch, artificiellement étendu en long), œuvres purement érotiques oui, voir pornographiques, mais où la sexualité se donne moins à voir qu'à penser. De la fellation cosmique vécue par un tout jeune, et déjà bavard, Fabrice Luchini au bain sanglant d'une Elisabeth Bathory froide et saphique en passant par les orgies décadante de la famille Borgia, tout n'est question encore une fois que de pouvoir, celui imposer aux femmes, aux autres, au temps.... Un constat que, comme une ritournelle humoristique, renverse quelque-peu La Bête, autant dans sa version courte que longue, avec son Loup du Gévaudan carnivore et affamé de sexe que le viol d'une duchesse pas si farouche pourrait transformer en agneau. La blague est un peu potache, la créature un peu kitch, mais cette gaudriole pas très aristocrate, pas très catholique, prouve à nouveau que même si parfois il nous perd un peu dans ses divagations, Borowczyk finit toujours par intriguer.





