Après un détour maitrisé du coté du cinéma occidental avec Stoker, le prodige du cinéma coréen retourne à la maison pour un Mademoiselle des plus intimes. Une adaptation asiatique d'un très anglais Du bout des doigts, de Sarah Waters, comme toujours aussi insaisissable que virtuose.
Comme beaucoup de grands cinéastes au style marqué et reconnaissable, aux thématiques récurrentes et univers personnels, Park Chan-wook semble s'évertuer à ne tourner constamment que le même film. Au-delà de sa trilogie de la vengeance consommée, ses œuvres se construisent comme des tourbillons, tour à tour léger ou lourds, où le dispositif s'efforce de se rapprocher au plus près de l'œil du cyclone pour y scruter une réalité finale. Certains trouvent déjà que Mademoiselle n'est plus aussi surprenant qu'un Old Boy, soit, mais gageons que cela peut être aussi la recrudescence de ces schémas qui rend d'emblée le film passionnant. Car même dans les décors évocateurs mais aussi rigides que gracieux de la Corée et du Japon des années 30, le spectateur sait qu'il met le pied dans un thriller en forme de poupées Gigogne, prêt à déplacer les places de son puzzle, à glisser dans des réalités de plus en plus dérangeantes, voir malsaines. L'exercice est attendu, mais diable que le réalisateur sait en jouer avec une maestria incroyable, variant les révélations sur des tons badins ou graves, déplaçant les enjeux avec une fluidité aussi remarquable que ses mouvements de caméras, toujours coulants, créant des liens naturels entre les personnages, jetant les champs / contre-champs aux oubliettes, troublant les frontières morales et les échelles de pouvoirs.
La manière dont se marient le scénario, la psychologie des personnages et la mise en scène, est impressionnante d'intelligence, et permet d'alterner entre les genres, du drame historique au film noir en passant par, l'érotisme, la comédie (que les coréens sont forts pour mélanger les tons) et le grand film d'amour. Car sous ses dehors de puzzle lubrique, évoquant à l'image la truculence des estampes polissonnes, à l'oral les manipulations sadiennes, Mademoiselle ne fait que retourner les points de vue pour mieux réunir les deux jeunes femmes, sublimes Kim Min-hee et Kim Tae-ri, manipuleuses manipulées et vice-versa, qui vont inévitablement renvoyer les tristes mâles à leur position de voyeurs impotents. Sublime photo, reconstitution historique fine et toute en drapées, nature lumineuse, la toile accueil avec amour les ébats sensuels et puissants des deux amantes, renvoyant La Vie d'Adèle à sa pauvre pornographie. Trouvant un juste équilibre justement entre le suspens rageur et la fable sentimentale (en particulier dans sa version longue, largement plus romanesque), Mademoiselle touche autant au jubilatoire (la torture finale devant la pieuvre, le massacre de la bibliothèque, les jeux de passe-passe) qu'au sublime... En particulier lors de cette fuite nocturne, à laquelle le montage ne cessera (à raison) de revenir, révélant avec candeur les attentions galantes que Sook-hee réserve à sa maitresse. Et puis n'a-t-on jamais vu plus belle utilisation des boules de geisha au cinéma ?




