Walt Disney est aujourd'hui l'un des plus gros studios au monde, une position encore renforcée par le rachat récent de l'éditeur de comics Marvel. L'édition collector de Blanche-Neige et les Sept Nains arrive à point nommé pour rappeler que cet empire repose sur une vision avant tout artistique, et un défi humain...
Le commentaire audio qui accompagne cette luxueuse réédition éclaire la personnalité de Walt Disney sous un angle peu connu, à la fois du grand public et de ses fans. Alors que le studio est devenu depuis des lustres une machine à succès incroyablement huilée, il est étonnant de se replonger dans les témoignages du vieux Walt, qui avoue lors d'une interview donnée au cours des fifties être le producteur le plus fauché en activité à Hollywood. "A l'heure où je vous parle, je n'ai pas plus de 3000 dollars sur mon compte !", lance-t-il amusé, tout en précisant que l'argent est la dernière chose à laquelle il pense lorsqu'il s'attaque à un projet, au grand désespoir de son frère et associé. Les faits parlent pour lui, en particulier la production quasiment suicidaire de ce Blanche-Neige, premier long-métrage d'animation en celluloid de l'histoire du Septième Art. Un défi naïf mais visionnaire, dont on peine à déceler la plus petite ambition mercantile.
Véritable travail d'orfèvre que ce Blanche Neige et les Sept Nains, dont l'animation atteint encore aujourd'hui un niveau de détail sidérant. Posant des défis à ses équipes, qu'il manipule à grands coups de mémos ultra-précis et de réunions de production azimutées destinées à inspirer celles des Studios Pixar (Walt y interprète tous les personnages, dont les biches et les lapins, afin de se faire bien comprendre des animateurs), le grand manitou repousse sur Blanche-Neige les limites du concevable. Certaines séquences, notamment l'arrivée de l'héroïne et des animaux de la forêt dans la maison des nains, sont d'une complexité ahurissante, affichant en plus des dizaines de personnages des ombres portées baroques, des effets de lumière, des reflets déformés (l'eau... no comment), le tout selon une grammaire cinématographique héritée des grandes fresques Live. Un émerveillement certes entaché, quatre-vingts ans plus tard, de quelques petites erreurs, dont une tendance à tellement étirer le montage que l'animation finit par se figer entre les plans. Rien de gênant, à plus forte raison compte tenu de la portée émotionnelle du film, alliant le très onirique à la terreur la plus noire (voir les séquences de la Reine face au chaudron ou au miroir magique). Oui, bien avant de bâtir le plus grand studio du monde, Walt Disney avait décidé de prouver sa légitimité artistique, et de s'adresser à la fois à l'intelligence et à l'imagination de son public. Pas sûr qu'un tel créateur aurait cautionné certaines orientations prises par ses successeurs au cours des années 2000...