Estampillé d'un numéro 7, le nouveau coffret Ultra Collector de Prestige (c'est eux qui le dise) de l'éditeur passionné Carlotta n'est cette fois-ci pas réservé à un unique trésor cinématographique, mais bien à quatre. Soit Rebecca, La Maison du Docteur Edwardes, Les Enchainés et Le Procès Paradine, à la fois collaborations passionnantes entre le producteur David O. Selznick et le réalisateur Alfred Hitchcock, et véritables représentants d'une période charnière dans la carrière de ce dernier.
Car si monsieur Alfred Hitchcock est déjà en ce début des années 40 une véritable référence du cinéma anglais, et enchaine les succès et les prouesses depuis les années 20 et les trésors du muet, il peine encore à gravir la marche du cinéma américain. Considéré à juste titre comme l'un des derniers grands producteurs américains dans tout le mélange de démesure et d'ambition artistique que cela sous-entend, David O. Selznick (King Kong, Une étoile est née, Autant en emporte le vent) est autant un brillant découvreur de talents, qu'un industriel qui prend un grand plaisir à prendre ses découvertes sous son aile, à lier par contrat et à façonner à sa mesure. Et il se passionne inévitablement pour Hitchcock qu'il convainc de venir s'installer dans le paysage hollywoodien en lui promettant un confort de production inédit (les budgets et les moyens techniques ne seront plus jamais les mêmes) mais aussi une liberté de production que les grands studios ne peuvent assurer... Pour ce dernier point cela ne sera pas forcément le cas puisque Selznick est tout de même connu pour ses mémos journaliers et interminables fustigeant ses collaborateurs, ainsi que pour son interventionnisme incessant dans l'écriture des scénarios, pour le casting (il a des acteurs sous contrats), sur les plateaux de tournage et surtout sa main mise totale sur le montage. Le producteur « control freak » face au cinéaste « indépendant »... Les quatre films, étalés sur sept ans, qu'incluent leur contrat commun de naitront pas forcément sans étincelles, mais aussi, et c'est ce qui les rends passionnants, sans émulsions mutuelles.
Et finalement le meilleur équilibre entre les deux forces sera trouvé sur le premier Rebecca, nouvelle adaptation d'un texte de Daphné Du Maurier pour Hitchcock juste après l'aventure La Taverne de la Jamaïque, que Selznick va obliger à rester collé à la trame et aux personnages du texte. Le réalisateur aime à s'emparer librement des romans qu'il adapte, de n'en laisser qu'un squelette prompte à se plier à sa mise en scène, ici il doit préserver les longs dialogues, les personnages secondaires, assez nombreux et présents, et finalement cela l'oblige à se montrer plus précis et affuté que jamais. D'une belle romance à la Cendrillon, le film bifurque violement vers l'œuvre subtilement gothique, légèrement effrayante et surtout angoissante, obsédé comme son duo principal (Laurence Olivier et Joan Fontaine) et leur glaçante femme de chambre, par une femme d'autant plus dangereuse qu'elle est absente, dans le cadre et la dramaturgie, figure parfaite et inaccessible... prédatrice au-delà de la mort. Un chef d'œuvre remarquable à la mise en scène inspirée et surtout en cohésion constante avec le conscient (le premier plan) et l'inconscient (le sous-texte). Succès public et critique, l'objet donnera du mou à ses deux « géniteurs » qui partiront un temps chacun de leur coté, l'un enchainant les géniaux Correspondant 17, Soupçons, L'ombre d'un doute ou Lifeboat, alors que le second s'empêtre dans quelques soucis personnels et la production houleuse de Duel au soleil. D'où un certain renversement des pouvoirs - désormais Selznick a besoin d'Hitchcock et non l'inverse - et une légère prise de distance du producteur qui imposera tout de même Gregory Peck et une coupe drastique dans l'éblouissant cauchemar surréaliste imaginé par Dali pour le très freudiens, et donc symbolique, La Maison du Docteur Edwardes en 1945.
Il lâchera même totalement la bride sur le suivant Les Enchainés, qu'il fut obligé de vendre directement à la RKO. Un film d'espionnage considéré par Truffaut (parmi d'autre) comme la quintessence de l'art D'Hitchcock. Mettant en valeur toutes les expérimentations aperçues tout au long de sa carrière, le cinéaste réduit une trame de complot d'anciens nazis planqués au Brésil en un bluffant MacGuffin, subterfuge stylistique (la « clef » du mystère) pour signer une romance virtuose entre un homme trop sur de son instinct, Cary Grant, et une femme marquée par les errances de son passé, Ingrid Bergman. Un duo magnifique, émouvant et constamment subtil dans leurs jeux, tout autant en tout cas que les mouvements de caméra et les effets de montage du maestro. Fin d'une époque alors pour Le Procès Paradine, projet auquel Hitchcock était lié par contact, et où Selznick tenta de retrouver sa posture, installant une nouvelle fois Gregory Peck dans un rôle - ici un avocat anglais troublé pas sa cliente - bien au-dessus de ses capacités. On sent bien souvent le metteur en scène peu passionné par son affaire, mais au détour de quelques scènes à l'émotion trop emprunté (tout le passage en France, simple redite de Rebecca), il déploie à quelques occasion des trésors de narration. Dans son jeu d'une grande intelligence sur les panoramiques autour de Mme Paradine, qui accompagne notre découverte progressive de sa vraie nature ; dans le dispositif technique (quatre caméra en simultané, une première ou presque) imposant des longs échanges au sein du tribunal mais à la tension jamais diminuée ; et enfin un portrait terrifiant du juge, Charles Laughton, volontairement répugnant et représentant d'une certaine classe sociale anglaise.
Symboles de la première phase de la carrière américaine plus que mémorable d'Alfred Hitchcock, soit avant Psychose, Vertigo et autres Fenêtre sur cour, les quatre métrages produits et crées en collaboration plus ou moins étroites avec l'un des meilleurs producteurs de l'âge d'or Hollywoodien, n'auront pas tous connus le succès en leur temps, et restent même, en particulier pour le dernier, un peu boudés par la cinéphiles aujourd'hui. Ce sont pourtant quatre trésors d'imagination, d'écriture et bien entendu de cinéma, suivant la nouvelle maturation d'un maître en action, auxquels un homme a su donner toutes ses chances.






