Plus de dix ans après La Dolce Vita, le magistral Federico Fellini revenait dans la périphérie de sa ville d'accueil, le terreau de son cinéma : Rome. Un film atypique, dispersé, entre l'autobiographie, le documentaire, la carte postale potache et le cinéma vérité, soit un portrait d'une cité hors du temps, symbole de la fièvre italienne alors bousculée par une société en pleine ébullition.
Film élégant, suave, et admirablement construit, La Dolce Vita et les errances nocturnes d'un Marcello Mastroianni au sommet de son charme rital, était d'une certaine façon un regard fantasmé sur une ville que l'on ne découvrait alors que par le petit bout de son intelligentsia, entre jet-set locale, intellectuels et bourgeoisie festive. Nettement plus franc et personnel, Roma, lui, est une tentative admirable et courageuse, d'embrasser littéralement tout ce qui fait la richesse, la force et la crudité d'une ville aussi cosmopolite et chargée que la capitale italienne. Une succession de tableaux, inégaux, éclatés, qui n'a de cesse de faire des va-et-vient entre les élans autobiographiques du cinéaste qui conte son arrivée dans la ville, la découverte des bruyants et grouillants quartiers populaires, et une captation contemporaine, entre le documentaire et la fiction outrée. Pas vraiment un film à sketch puisque chaque segment répond à d'autres (comme la prostitution décortiquée à travers les époques) et surtout que l'exploration se fait de manière organique, glissant sur les réseaux de circulation que sont les routes et leur pollution opaque, les rues et ses passants vociférant en tous sens avant d'aller se moquer d'un spectacle vieillot et pathétique.
Ca s'interpelle, ça bouffe, ça gueule, ça court, Fellini ne cachant au grand jamais les murs antiques devenus grisâtres, recouverts de graffiti, les rues pleines d'ordures, le tout parfois au format d'une fiction reconstituée dans les décors luxueux de Cinecitta, parfois capturé dans la réalité, tel un documentaire sauvage où s'ébattent jeunes hippie en quête de liberté et répression des années de plombs. Toute l'ironie d'un pays, d'un cinéma, d'une ville mythique résumée en deux heures totalement subjectives. Une compression parfois excessivement touffue, une œuvre pantagruélique où la truculence d'une population dépeinte avec autant de réalisme que de caricature, contraste volontairement et fortement avec quelques imminences qui habitent tout autant les enceintes de l'ancienne centre du monde : les politiques corrompus (personnalisé ici par les forces de polices et les apparitions du gouvernement de Mussolini) et les ordres religieux. Ce dernier se paye d'ailleurs l'un des passages les plus truculents de Roma : un défilé de mode ecclésiastique totalement absurde et gamin où certains mannequins se pavanent en patins à roulettes, mais qui s'achève de manière effrayante sur un étrange navire fantôme. Rome une ville morte ? Fellini la voit en tout cas comme une mère généreuse déjà morte et déjà revivifiée, comme en atteste les plus belles séquences du film : une prostituée opulente qui capte la lumière autant qu'une venus de Milo, une horde de motards qui restructurent des ruines vides et nues par leurs ténèbres et cette visite sidérante du métro, alors en construction. Une percée dans le mur d'une villa anthique oubliée et enterrée depuis des lustres, et une équipe de journaliste sur place capture la majesté des lieux avant que les fresques ne disparaissent en poussière, abimées par le carbone venu de l'extérieur. Magique et tellement cinématographique !



