Franchise horrifique star des années 90, la saga Hellraiser est, grâce entre autres à son icone Pinhead, de l'une des plus célèbre du genre aux coté de Freddy, Vendredi 13 et autres croquemitaine modernes. Et tout a commencé par une sacro-sainte trinitée.
Rapidement adoubé par Stephen King et célébré par de nombreux lecteurs anglo-saxons, Clive Barker est déjà une référence dans le milieu littéraire fantastique à la fin des années 80 grâce à ses romans Le Jeu de la damnation, Le Royaume des devins et surtout son recueil de nouvelles Livres de sang où on trouve les textes à l'origine d'adaptations ciné comme Transmutations, Rawhead Rex et les futurs Candyman ou Midnight Meat Train. Fait assez unique, son statut est tel que c'est l'auteur en personne qui réussit à convaincre une petite société de production anglaise, Film Futures, de travailler sur une version grand écran de son court roman The Hellbound Heart (Hellraiser chez Bragelonne, traduit tardivement en français) dont il sera lui-même le scénariste et le réalisateur. Une gageure pour un petit film indépendant au budget resserré (même si l'américain New World Pictures y apportera quelques billes par la suite), mais qui assure une vision pure et complète de cette nouvelle bible noire.
En authentique british de souche, Clive Barker a manifestement grandi avec les productions locales et en particulier les films Hammer. On en retrouve clairement des traces dans sa première œuvre en tant que cinéaste. Dans une ambiance moderne mais gothique tout d'abord, avec ses intérieurs opaques et étouffants et sa nuit presque éternelle, mais aussi et surtout dans son traitement de la sexualité, véritable courant qui irrigue chaque plan du film, où le mal revêt l'image moins de la déviance que de la trahison et du refoulé. Si Hellraiser offre un personnage d'adolescente indépendante comme tout bon slasher de l'époque, le personnage centrale reste Julia, femme adultère vouant une passion charnelle à son beau-frère Larry, figure manipulatrice et grand explorateur des sensations extrêmes. C'est dans leur relation, évidement destructrice et mortifère, que nait le mal, poussant à quelques sacrifices de mâle locaux, avec toujours en ligne de mire le pauvre Frank (Andrew Robinson connu pour son rôle de serial killer dans L'Inspecteur Harry) trop innocent et bonne âme pour s'en sortir indemne. Dans son architecture, Hellraiser est donc un drame intimiste, un thriller sensuel en huis-clos sur fond de triangle amoureux, où les bizarreries s'accumulent à la mode anglaise, jamais si loin finalement des essais sulfureux d'un Ken Russell (Love, Les Diables). Sauf que l'univers de Clive Barker est autre, faisant suinter en arrière-plan un monde parallèle, prêt à visiter le notre, celui des Cénobites. Des créatures inspirées de peintures contemporaines (Francis Bacon), de vision infernales plus médiévales (Munch) mais aussi de contre-cultures mêlant body-piercing, tatouages et pratiques SM avec une suavité troublante. Dirigé par l'énigmatique mais immédiatement charismatique Pinhead (désormais indissociables de son interpréte à la voix pénétrante Doug Bradley), ces derniers intronisent un monde de tortures mêlant horreur graphique (gore et rituels), tout autant que de plaisir tortueux naissant dans les replis de la chair meurtrie. Ici encore très discrets, presque moins présents que le fameux puzzle-cube qui leur sert de clef, ils préservent un mystère qui fait tout le sel de Hellraiser, un film impressionnant de maitrise, aux effets spéciaux charnels signé Bob Keen (The Dark Crystal, Highlander), où nait une mythologie (religion ?) mature, unique, entre cauchemars et rêves moites.
Enorme succès à sa sortie, devenu rapidement un film culte, la production envisage rapidement une suite directe, profitant de moyens plus considérables et donc d'un regard tourné vers un épisode plus flamboyant et plus démonstratif. Une hauteur nouvelle dont il semble que le premier point d'achoppement soit la musique de Christopher Young. Déjà très impressionnant sur le premier film avec ses thèmes langoureux et obscures, le compositeur de La Revanche de Freddy, La Mouche II ou Jusqu'en enfer, développe ici ses thèmes avec une ferveur époustouflante, transformant sa « musique de chambre » en véritable opéra macabre, en symphonie infernale. Une merveille absolue qui élève constamment Hellbound vers le spectacle grandiose, que vient habiter une illustration plus frontale de l'univers des Cénobites.
Recluse dans un asile psychiatrique après les évènements du premier film, Julie pense recevoir des messages de son père enfermé dans les limbes et va tenter de l'en délivrer, aidé par une jeune ado mutique, mais trouvant vite sur son chemin le psychotique chef psychiatre (excellent Kenneth Cranham) et une Julia (Clare Higgins plus inquiétante que jamais) revenue à la vie. Une suite d'une grande ambition, se déroulant en majorité dans la dimension des créatures sadiques et donnant à voir des décors amples (merci les peintures sur verre), des délires épouvantables et stylisés mais aussi le dieu local, Leviathan, monolithe métaphysique, de nouvelles créatures écorchées et même un cénobite aussi grotesque que majestueux, le chirurgien. Déjà parti préparer son second long métrage, Cabal, Clive Barker se contente ici de livrer le pitch initial et d'officié en tant que producteur exécutif, mais Hellbound reste extrêmement fidèle à son écriture mariant Eros et Thanatos dans un délire baroque plus que généreux. Malheureusement, il faut reconnaitre que malgré de nombreuses grandes séquences, Hellbound: Hellraiser II souffre parfois des petites faiblesses d'écriture de Peter Atkins (Wishmaster) et surtout d'une réalisation terriblement plan-plan signée par un Tony Randel qui enchainera avec une belle carrière de nanars allant du rigolo Ticks au catastrophique Fist of the North Star (adaptation minable du manga Ken Le Survivant). Une suite honorable certainement mais qui avec un tel travail en terme d'univers, de design et de symphonie moderne aurait pu aller tellement plus loin.
Déjà bien plus présent sur le second film, les deniers américains prennent directement le contrôle du troisième opus, alors que New World Picture disparait en partie récupéré par le Dimension Films des frères Weinstein. Absent à la production, si ce n'est cité au générique pour s'assurer la sympathie des fans, Clive Barker a bien mieux à faire, et la production part directement aux USA (et au Canada), laissant la quasi-intégralité de l'équipe anglaise dans ses pénates. Devenue la figure symbolique des Hellraiser, Doug Bradley et son Pinhead, deviennent directement la star iconique d'un métrage qui revisite finalement la mythologie à la sauce locale, moins malsaine et bien plus versée dans l'affrontement entre le bien et le mal (là où pour l'instant les frontières étaient diffuses) et une horreur pop-corn, plus directe et fun. La subtilité n'est pas forcément de mise dans Hellraiser III: The Hell on Earth jusque dans le nouveau défilé de Cénobites se baladant en pleine rue, entre celui transformé en mange CD ou l'homme-caméra, menaçant constamment de trahir le matériau initial. Pinhead, en tête, se découvre même une certaine folie des grandeurs et une envie de conquête du monde (mouaich), et devient bien bavard et bravache. Le casting féminin est plutôt agréable avec les très jolies Terry Farrell et Paula Marshall, les effets spéciaux gagnent considérablement en consistance et professionnalisme jusque dans des effets numériques inédits (mais qui sont ceux qui ont tristement le plus mal vieillis), mais finalement ce qui sauve clairement le film est la prestation derrière la caméra du très sympathique et roublard Anthony Hickox, déjà à l'origine des deux classiques de l'ère vidéoclub : Waxwork et sa suite. Tout à fait capable, il tient les reines de l'entreprise avec efficacité, distille un second degré plutôt amusant et surtout ne laisse que peu de mystères quand à son amour du genre en tant que divertissement primaire. Pas forcément l'idéal pour donner naissance à un Hellraiser incontournable, mais en tout cas une variation honnête et tout à fait regardable en particulier dans son montage uncut, un poil moins propret.
Développée en seulement cinq ans, la trilogie initiale des Hellraiser fait partie des classiques du cinéma d'horreur, mais dépeint aussi avec clarté la transformation d'une œuvre personnelle, raffinée, en une licence de plus en plus standardisée et pensée pour une audience affamée. Une progressive perte de foi, où à aucun moment finalement, malgré leurs très bons moments, Hellraiser II et III réussiront à atteindre le bijou noir signé Clive Barker. Mais si l'on compare aux productions suivantes, toujours fagotées par un studio Dimension de moins en moins regardant, on est rapidement moins enclin à se montrer cruels...







