Après seulement quelques mois, la collection Make My Day ! de Studiocanal, sous la supervision du journaliste Jean-Baptiste Thoret, s'impose déjà comme indispensable pour les cinéphiles en mal de nouveautés. Cette fois, pour son cinquième numéro, l'éditeur sort un film italien, rare, méconnu et difficilement classable. Découverte.
Marco (Jean-Louis Trintignant, plus énigmatique que jamais) est patron d'une entreprise de volailles. Enfin, patron... la ferme appartient surtout à sa femme, la belle Anna (Gina Lollobrigida, forcément magnifique). Italienne radieuse, volcanique même, qui avec sa beauté et sa verve méditerranéenne passe difficilement inaperçue. Tout le contraire de Marco, timide et réservé, qui peine à exprimer ses émotions et promène son corps frêle de réunions en séminaires sans jamais vraiment prendre la parole ni beaucoup échanger avec ses pairs. Un tempérament effacé qui dissimule évidemment une autre personnalité, plus sournoise et dangereuse, qui s'éveille d'abord lorsqu'il réussit à organiser des rendez-vous galants avec sa jeune et jolie secrétaire (Ewa Aulin, sulfureuse!) sous les yeux même de sa femme et surtout lorsqu'il se rend de temps en temps à l'hôtel pour y égorger des prostituées. Une façon comme une autre de laisser enfin s'exprimer des pulsions jusque là réfrénées, qui vont se révéler aux yeux du jeune loup Mondaini (Jean Sobieski, autre français du casting), alors prêt à fomenter un plan (avec la jeune secrétaire) pour se débarrasser de l'entrepreneur.
Au bout de quelques minutes seulement, une question s'impose : La Mort a pondu un œuf est-il un Giallo ? Compte tenu de son atmosphère et des meurtres perpétrés, sans doute, mais au fur et à mesure que le film avance, Giulio Questi abat les cartes d'un scénario à tiroirs dans lesquels logent différents thèmes qui n'ont pas forcément grand-chose à voir avec le genre : critique sociale avec ces ouvriers qui manifestent suite à la transformation de leur ancienne usine en ferme high tech autonome, critique également d'une certaine bourgeoisie italienne aux mœurs plus ou moins déviantes, critique encore d'une science dangereuse et sans éthique, prête à se rendre complice d'une industrie capitaliste et immorale. Avec, en fil rouge, des poules pondeuses élevées en batterie, déplumées sans ménagement et tuées avec cruauté. Le microcosme des gallinacés condamnés d'avance rappelant bien évidemment le quotidien d'humains en apparence plus évolués mais promis finalement au plus ou moins même sort. Pour habiller tous ces thèmes, Questi recourt à tout un arsenal d'effets cherchant à créer un sentiment de malaise chez le spectateur : l'usage abusif du gros plan, du flou, du zoom, de l'image décadrée ; auxquels s'ajoutent la musique déstructurée de Bruno Maderna et la très belle photo de Dario Di Palma.
Aucun doute, formellement, La Mort a pondu un œuf a des atouts majeurs. Malheureusement, son rythme haché et la sensation de ne jamais savoir vraiment où veut en venir le réalisateur (accentué par un twist de dernière minute qui remet encore plus en doute son appartenance au genre) l'handicape fortement. Subsiste la sensation d'avoir assisté à une œuvre étrange, rare, improbable mélange entre Fellini, Bava ou encore Godard et propre, malgré les apparences, à rester longtemps imprimée sur la rétine.


