Il y a des films qui traversent les générations, transmis comme un petit trésor de parents à enfants, et qui laissent des souvenirs impérissables dans la mémoire : celle d'une sorcière appelant le jugement d'Odin, d'une beuverie joyeuse, d'un guerrier mourant l'épée à la main, d'un prince perdu et d'une princesse courageuse. Gloire au Vikings !
Un peuple extrêmement cinégénique, puissant, exotique et fantastique qui sera resté pourtant longtemps loin des écran, le plus souvent d'ailleurs cantonnés aux rôles de hordes barbares se déversant sur la glorieuse et civilisée Angleterre, ultime rempart de la chrétienté. Second film produit par la Bryna Production de Kirk Douglas, Les Vikings en est naturellement un contre-point total. Une direction moins due au roman original d'Edison Marshall - The Viking, embarrassant aujourd'hui par ses aspects racoleurs, misogynes et racistes - que par la fascination pour ce peuple étrange qui a nourri la star pendant son enfance, et le sens du détails du réalisateur engagé, Richard Fleischer, après une premier collaboration mémorable pour le 20000 lieues sous les mers du studio Disney. C'est Fleischer qui se lançant dans de longs mois de recherches et d'études, va clairement transformer une énième fantaisie médiévale hollywoodienne, en absolu modèle du genre. Les demeures vikings, les costumes et coutumes, les armes, les drakkars, les mythes et les lois, tout cela vient nourrir comme jamais un spectacle qui réussit à mêler avec brio fresque historique et aventure, tragédie classique et western naturaliste. Tourné véritablement dans les paysages nordiques, et à grand frais, somptueusement éclairé par un Jack Cardiff (Le Narcisse noir, ) qui réussit à faire cohabiter la chaleurs d'intérieurs en studio et la lumières des extérieurs, et surtout constamment magnifier par l'utilisation puissante du Vista Vision par un Richard Fleischer aux cadres élégants et précis, Les Vikings impressionne aujourd'hui encore par ses constructions picturales tout en profondeur et l'énergie constante qui s'en dégage.
Du vrai grand spectacle, généreux, spectaculaire (l'assaut final qui écrase la plupart des blockbuster actuels) qui joue d'ailleurs bien souvent avec les limites de la censure de l'époque en évoquant un érotisme contenu et une violence palpable malgré sa quasi-absence à l'écran. Rarement Richard Fleischer n'a aussi bien maitrisé son sujet, insufflant d'ailleurs sobrement mais efficacement au tableau d'ensemble son regard tranché sur les ténèbres qui habitent tous ses personnages. Si ici le Roi Aella est dépeint comme un summum de vilénie (et l'excellent Frank Thring en fait des tonnes), les fameux vikings, et en particulier Eric et Einar, n'ont rien des héros charmants et délicats. Fiers enfants de leur culture ils répondent par la violence, la colère, les bravades et l'honneur... ce qui bien entendu ici leur permet de décrocher la sympathie du metteur en scène. Une réelle complexité dramaturgique et psychologique qui permet dans la foulée au casting idéal de livrer des performances tout aussi inoubliables. S'il laisse le rôle principal au séduisant Tony Curtis, surprenant en prince qui s'ignore dont la grâce contraste avec la colère sourde de son regard, Kirk Douglas explose à l'écran en incarnant ce fier guerrier balafré, terrien et fier, véritable moteur de l'action. A leurs coté la sublime Janet Leigh dépasse le romantisme habituel de la princesse en détresse par un sens du sacrifice déchirant et Ernest Borgnine réjouit par son chef Ragnar, adepte des raids sans pitié mais figure paternelle tonitruante. Un sans faute auquel il faut ajouter une bande originale épique et mythologique signée Mario Nascimbene (Un Américain bien tranquille).
Il est de coutume de rappeler en fin de critique de Les Vikings que malgré ses immenses qualités, ce simple divertissement populaire ne changea pas la face du cinéma. Cela est valable si on considère qu'être la première influence et référence de films comme Conan Le Barbare et Le 13ème Guerrier ce n'est pas avoir changé l'histoire du cinéma.



