Film honnie malgré (ou à cause de) un certains succès populaire, conspué largement par la critique et vite enterré par la Paramount, Mandingo fut longtemps enseveli sous les injures de film raciste, réactionnaire, pornographique et putassier. Un soi disant film d'exploitation scrutant avec perversité les pires travers de la société sudiste. Difficilement soutenable certes, mais un traitement qui pourtant ne laisse planer que peu de doute sur la vision de Richard Fleischer (Soleil Vert, Les Vikings, L'Etrangleur de Boston...).
Commandité par le producteur Dino Di Laurentis pour le compte de la Paramount, c'est cependant bien sous couvert d'une proposition fermement commerciale que fut imaginée Mandingo, devant s'intégrer à la vague naissante et très populaire de la blackploitation. Sauf que rapidement, le cinéaste mercenaire, mais toujours très doué pour se réapproprier ses commandes, Richard Fleischer apposa sa condition : faire de Mandingo LE film sur la condition des esclaves noirs dans l'Amérique sudiste. Un sujet totalement escamoté dans le payssage du cinéma US, ou alors édulcoré jusqu'à une certaine idéalisation proche de l'image d'Epinal. On pense ici à La Mélodie du sud, production Disney honteuse et invisible aujourd'hui, et surtout à l'éternel Autant en emporte le vent, fresque romanesque cinématographiquement impeccable et grandiose, mais totalement confondante dans sa manière de dépeindre de gentils et braves esclaves si fier de servir des maitres blancs si attentionnés. C'est clairement la cible privilégiée de Fleischer qui dès l'affiche en détourne les codes, remplace le mythique couple passionnel par deux autres interraciaux (encore rare en 1975) et surtout les petites scénettes faisant rêver le futur spectateur par les pires scènes de violence et d'humiliations à venir.
Un humour très noir dont ne fera finalement que rarement preuve le film proprement dit qui préfère s'acharner à décrire frontalement et sans distance l'avilissement complet que faisaient vivre les riches propriétaires blancs sur la population noire, traitée comme de simples animaux domestiques. Combats à mains nus jusqu'à la mort, viols et sévices sexuels totalement intégrés dans les mœurs, punitions barbares, lynchages sommaires... Le summum étant d'ailleurs atteint par cette image récurrentes d'un maitre de maison presque sénile (James Mason tristement flippant) obligeant un petit garçon nu à rester à ses pieds dans l'espoirs de lui transmettre ses rhumatismes. Sordide assurément, limite soutenable parfois, en particulier parce que la mise en scène enferme l'œil du spectateur dans des compositions maitrisées, des cadres « classiques » (les quelques effets de zoom plus modernes ne sont pas forcément des réussites), une lumière à la fois suave et crépusculaire, et même une bande son signée de Maurice Jarre qui oscille entre le champêtre en contre-point et le nauséeux des films d'horreur à venir. Mandingo quête le malaise du spectateur et rejette violement les facilitées justement du cinéma d'exploitation : les scènes de violence (combat, chasse à l'homme) ne sont jamais libératoires, les scènes de sexe froides et glaçantes. Et pas question ici d'une conclusion en forme de vengeance expiatoire, et d'une ultime rébellion de l'homme noir à l'instar du Django Unchained de Quentin Tarantino (qui le cite ouvertement), car totalement assujettis à la classe dirigeante, les esclaves ne semblent même plus, ou presque, envisager la rébellion voir la liberté.
Un film aux effluves écœurantes, pourrissantes, à l'image de son décor, veille demeure en plein délabrement envahie d'herbe hautes, et de ses protagonistes WASP, sous-humanité fleuretant avec la débilitée, pratiquant généreusement l'inceste, asséché par la haine de l'autre, tout ça sous couvert, bien entendu, d'un ordre établie et d'une Bible qu'ils n'ont sans doute jamais lu. Et dire que le Mandingo que l'on connait aujourd'hui est une version édulcorée par la censure et largement amputée d'une bonne moitié de sa durée initiale !


