Si Le 7ème voyage de Sinbad est disponible en France depuis plus de dix ans dans une très belle copie haute-définition et accompagnée de suppléments conséquents (mais avec une jaquette très moche), ni Le Voyage fantastique, ni L'Oeil du Tigre, ses deux suites tardives, n'avaient pu passer le cap du DVD. Un oubli réparé par Sidonis Calysta qui regroupe enfin la trilogie dans un coffret blu-ray indispensable malgré une interactivité bien chiche.
Et d'ailleurs, puisque l'on parle de « suites » et de « trilogie », dans le cas des aventures de Sinbad, c'est sans doute faire un peu fausse route. En changeant de metteur en scène, de casting et d'équipe technique à chaque film mais en conservant la même structure narrative, le duo complémentaire Ray Harryhausen / Charles H. Schneer, le magicien et le producteur, s'est livré à un drôle d'exercice de style : raconter trois versions de la même histoire. Car, pour ce brave Sinbad, d'un film à l'autre, rien ou presque ne change. Une rencontre en mer, une escale qui lance l'intrigue, un sorcier, une île (forcément) mystérieuse, la quête d'une source de pouvoir, des créatures mythologiques, un climax en forme de combat de titans et, enfin, un baiser pour sceller l'idylle entre le héros et sa belle compagne. Simple comme bonjour, la formule ne s'enrichit que de variantes subtiles dans le bestiaire ou les personnages secondaires.
Curieusement, Le 7ème Voyage de Sinbad n'a jamais été conçu comme le point de départ d'une franchise potentielle. Sur ce sujet, le titre ne laisse aucune place au doute. En se référant à la fable perse dont Sinbad est le protagoniste, on apprend que le marin légendaire ne fit que sept voyages. Le film de Nathan Juran ne se concentre donc que sur la dernière aventure de Sinbad. Plutôt qu'un coup d'envoi, nous voici donc conviés à une apothéose. La barre est placée haute.
Aussi désuet qu'il puisse paraître aux yeux d'un public gavé aux CGI et aux blockbusters sous stéroïdes, le spectacle proposé par Le 7ème Voyage de Sinbad demeure un modèle absolu de concision et de poésie. En un peu moins d'une heure et demie et avec un budget modeste, Nathan Juran et Ray Harryhausen alignent autant de morceaux de bravoure que dans un Marvel pété de thunes et ce, sans jamais sacrifier les notions de magie et d'émerveillement sur l'autel du rythme à tout prix. Tout est une question d'équilibre et le rôle de Nathan Juran n'a probablement pas assez été mis en avant par les historiens du cinéma. Plutôt que de se résigner à jouer les faire-valoir (comme le feront ses successeurs), le cinéaste accompagne les tours de passe-passe du génie Harryhausen en évitant de les souligner bêtement. Rompu aux techniques de l'animateur pour avoir déjà mis en scène l'excellent A des millions de kilomètres de la Terre, Nathan Juran limite au strict minimum les mouvements d'appareils et fait avancer l'histoire en usant de sa science du cadre et du découpage. En découle une remarquable sensation de fluidité où chaque plan s'apparente à une gravure animée et sublimée par le score fantasmagorique de Bernard Herrmann.
On peut certes regretter que les acteurs n'aient pas grand-chose à faire (encore que Torin Thatcher excelle dans le rôle du bad guy Sokurah) mais la valeur d'une telle œuvre est à chercher ailleurs et notamment dans les centaines de vocations qu'elle a pu faire naître. John Landis, Phil Tippett, Dennis Murren, George Lucas, Steven Spielberg, Joe Dante, Peter Jackson, James Cameron et tant d'autres encore ont payés leur dette à un film qui occupe une place de choix dans leur panthéon personnel. La référence, l'emprunt, le clin d'œil, Ray Harryhausen y cède lui aussi en concevant un affrontement entre un cyclope et un dragon ô combien évocateur de celui qui, 25 ans plus tôt, opposa un certain King Kong à un T-Rex, un duel animé par Willis O'Brien. La boucle est bouclée.
Occupé pendant une décennie à la conception de Jason et les Argonautes, des Premiers Hommes dans la Lune (à nouveau réalisé par Nathan Juran) et de La Vallée de Gwangi, Ray Harryhausen ne retrouve Sinbad le marin que sur le tard, au début des 70's et toujours sous l'impulsion du producteur Charles H. Schneer et de la Columbia. Ecrit par Brian Clemens (Chapeau Melon et Bottes de Cuir ainsi qu'une poignée de productions Hammer) et mis en scène par le téléaste Gordon Hessler, Le Voyage fantastique de Sinbad tente le grand écart entre le conte familial à l'ancienne et le film d'aventures rugueux et sombre, caractéristique de son époque. John Phillip Law (Danger Diabolik de Mario Bava) tente une approche un peu plus virile et réaliste du personnage de Sinbad tandis que Caroline Munro, éclatante de beauté, exhibe fièrement un décolleté vertigineux. Un soupçon de machisme et de sexe, juste histoire d'appâter un public de plus en plus friand de spectacles sulfureux. Manque de pot, les deux tourtereaux manquent de conviction et leurs prestations sentent le nanar. Quant à Gordon Hessler, professionnel sans panache, il filme assez platement une intrigue intéressante mais qui n'a pas la simplicité, ni même le charme, de celle du film précédent.
Il reste pourtant de nombreuses raisons de se réjouir. Outre les créations virtuoses d'Harryhausen (la déesse Khali et ses six bras !) et le score romantique et envoûtant du vétéran Miklos Rosza, le point fort de ce second voyage se nomme Koura, sorcier méphistophélique brillamment incarné le comédien britannique Tom Baker. Dans un rôle qui lui servira à convaincre la BBC de lui confier la quatrième incarnation de Doctor Who, Baker vole la vedette à .. à peu près tout le monde ! Aimant créer l'illusion de la vie à partir de matières inanimées, marionnettiste luttant contre les ravages du temps, Koura n'est autre que le double maléfique de Ray Harryhausen lui-même et son arc narratif donne au Voyage fantastique de Sinbad une double lecture à la fois savoureuse et douce-amère.
Imparfait mais passionnant, le deuxième voyage de Sinbad aurait aisément pu servir de conclusion, le personnage et le concept n'ayant plus grand-chose de neuf à offrir. Mais le succès incite Charles H. Schneer et Ray Harryhausen à remettre le couvert une troisième fois. Mal leur en a pris tant Sinbad et l'œil du Tigre fait parfois pitié à voir. Ouvertement destiné à un public de moins de douze ans mais ne rechignant pourtant pas à verser dans un érotisme bon marché en dénudant gratuitement les superbes Jane Seymour et Taryn Power, le film de Sam Wanamaker illustre mollement un scénario excessivement paresseux. Fils de John, Patrick Wayne remplace John Phillip Law dans le rôle-titre en se proposant de jouer encore moins bien (un bel exploit) et affronte une sorcière pathétique qui passera les trois quarts du film à râler tel un clone de Marthe Villalonga sur une barque futuriste propulsée par le Minoton, colosse de métal (ou de plastique, on ne sait pas trop) tantôt animé par Ray Harryhausen, tantôt incarné dans un costume ringard par Peter Mayhew, Chewbacca en personne ! Du remplissage pas très finaud entre les apparitions désormais routinières mais toujours très soignées de bestioles en tout genre. Mention spéciale au prince transformé en babouin et au troglodyte géant, version pacifique du cyclope d'antan. Les fans de Doctor Who peuvent également se réjouir du cabotinage de Patrick Troughton dans un rôle de vieux sage, croisement d'Archimède et de Gandalf. Des miettes de satisfaction dans un océan d'ennui où les restrictions budgétaires se font de plus en plus visibles avec des incrustations bâclées. Le cœur n'y est plus. La même année, en 1977, Ray Harryhausen se fait voler la vedette par un de ses disciples, le Star Wars de George Lucas. La nouvelle génération prend le pouvoir et Sinbad rentre au port, pour de bon. Dreamworks tentera bien de ressusciter le personnage en 2003 via un film d'animation sympathique baptisé Sinbad : La Légende des Sept Mers. En vain.








