Intouchable, sacré, brillant et terriblement novateur, L'Exorciste de William Friedkin ne pouvait rester sans suite pour la firme Warner Bros qui avant de dénaturer le projet dans une série tv, avait déjà commandité trois opus supplémentaires (dont un film double) espérant renouveler l'impact initial. Avec son rythme de thriller télévisuel teuton, L'Exorciste III en est loin, mais quelques images sont restées dans la légende...
17 ans après la déflagration planétaire provoquée par L'Exorciste, sortait sur les écrans français un certain L'Exorciste, la suite, titre français abusif tentant de faire oublier un précédent épisode, L'Hérétique, expérience mystique profondément païenne signé John Boorman largement boudée par le public et à laquelle William Peter Blatty ne goûttait franchement pas. Auteur du roman d'origine, producteur envahissant du premier film sur lequel il ne réussit à imposer sa vision purement théologique que lors de la ressortie du film en 2000 pour une version bien moins efficace, Blatty est effectivement compulsivement obsédé par l'opposition entre le bien et le mal, qu'il transpose exclusivement vers un combat christique dont le monde humain ne serait qu'un triste décor. C'est tout le sens d'ailleurs de son roman Legion, variation autour des thèmes de SON Exorciste, qu'il remanie à la fin des années 80 pour le transformer en une suite plus évidente de son plus grand succès littéraire et cinématographique. Comble du bonheur, après le rejet du projet par un John Carpenter renâclant à se confronter au film culte, c'est Blatty en personne à qui la Warner et Morgan Creek finissent par offrir la réalisation. Malheureusement, il est indéniable que ce dernier n'a rien d'un immense metteur en scène. Préférant axer son métrage sur une enquête opaque et une réflexion constante sur la nature du mal et la fragilité de la vie, portée par le duo formé par le lieutenant William Kinderman et le père Joseph Kevin Dyer (les deux « survivants » du premier film mais recastés), L'Exorciste III se refuse ainsi d'appartenir totalement au cinéma d'horreur.
La plupart des meurtres, scabreux, restent ainsi hors champs, les démons sont à couvert et, avec une mise en scène très plan-plan et une direction d'acteur peu inspirée, cette suite affiche très souvent les caractéristiques esthétiques d'un téléfilm de luxe, peinant malheureusement à mettre en valeur le potentiel réel d'un script aux airs de Seven avant l'heure et l'impériosité flippante du serial killer insaisissable incarné par l'excellent Brad Dourif. Si Blatty s'efforce de creuser une ambiance délétère, de transformer un simple hôpital public au blanc aveuglant en antichambre de l'enfer et de construire son suspens uniquement sur des confrontations psychologiques, il se montre bien incapable à préserver la tension jusqu'au bout, en particulier dans son premier montage (disponible dans les bonus) où tout semble se déliter dans les dernières minutes. Pourtant, lorsqu'il se donne la peine et embrasse totalement l'univers cinéma de L'Exorciste, le réalisateur peut se montrer particulièrement effrayant, voir terrorisant, avec deux séquences traumatisantes l'une reposant sur une lente mais implacable montée en pression autour d'un plan fixe et froid sur un couloir de l'hôpital, l'autre donnant tout son sens à l'expression « une araignée au plafond ». Des jaillissements trop rares pour le spectateur qui ne cachera pas quelques petits bâillements, ni pour les producteurs stupéfaits qui exigeront de coûteux jours de tournages supplémentaires pour mettre en boite un exorcisme en apothéose de fête foraine, et le retour de l'acteur Jason Miller (Damian Karras), bouffi et éreinté, pour apparaitre comme l'une des facettes dominantes du monstre psychotique Legion. Un bricolage de dernière minute qui ne peut gommer la mauvaise route choisie par William Peter Blatty qui, comme le prouve une nouvelle fois les retouches opérées en 2000, n'a jamais compris ce qui faisait le génie du premier Exorciste : transformer un film d'horreur puissant en drame intime déchirant. Ici le drame de notre pauvre George C. Scott (vieillesse, fatigue et exaspération) est bien loin de pouvoir compenser les faiblesses d'un metteur en scène que l'on soupçonne de s'estimer au-dessus de ces artifices du cinéma d'horreur.
« Bavard et médiocre pour certains, plombé par un troisième acte imposé par les producteurs et tourné en catastrophe, L'Exorciste III est pourtant une vraie proposition de cinéma horrifique et théologique, très ambitieuse sur le fond et baignant dans une ambiance lourde et menaçante où affleure une poignée de visions réellement flippantes. A redécouvrir d'urgence. »
Alan Wilson


