En pleine gloire, Warren Beaty produit et coécrit une curieuse comédie satirique sur un coiffeur libertin s'évertuant à financer son propre salon à la veille de l'élection de Richard Nixon. Un film vagabond, parfois vain, qui décrit par la racine la disparition du mythe, celui de l'Amérique du self made man.
La star Warren Beaty ne s'est jamais rêvée coiffeur dans une autre vie, et il use, avec son célèbre coscénariste Robert Towne (Chinatown, La Firme...) de ce milieu entièrement dévoué à l'apparence, à l'esthétique et à la mode du moment, pour dresser le portrait acide d'une culture qui s'est manifestement perdue en cours de route. Le choix du soir des élections qui verront la victoire de Richard de Nixon n'est bien entendu pas un hasard mais tout un symbole, celui de l'amorce de l'effondrement du rêve américain, de la foi aveugle en son système et ses promesses. Dans Shampoo plus personne n'en est vraiment dupe d'ailleurs, à commencer par le superbe casting d'actrices Julie Christie, Goldie Hawn, Lee Grant et une toute jeune Carrie Fisher, moins portées par les éléments romantiques que par une quête cynique du confort, du bon parti et, mécaniquement, d'une bonne partie de jambes en l'air en parallèle. Une instrumentalisation, une marchandisation du sexe, que ne pratique cependant pas leur amant commun, George Roundy, infidèle certe, mais clairement le plus honnête du lot car ne couchant que pour « le fun ».
Cowboy un peu paumé qui se trimbale d'une maitresse à l'autre, d'une cliente à l'autre, dans ce Los Angeles pré-70's, chevauchant sa Triumph un sèche-cheveux dans la ceinture, le styliste capillaire de Warren Beaty est déjà une relique, tournant en ridicule les postures d'Easy Rider et le fantasme malheureusement vain des années hippies, de la liberté et des possibles. Doux rêveur qui pense qu'il peut encore s'en sortir à la fin du film avec son grand amour malgré tout, il est confronté constamment au règne de l'argent, des entreprises bancaires, des puissants le zieutant, au mieux, comme une curiosité attendrissante. Un monde triste, prête à s'enterrer dans la morosité matérielle, que le Hal Ashby de Harold et Maud et En Route pour la gloire, refuse de filmer avec une méchanceté complaisante, de tourner le drame en farce. Il préfére les observer avec une tristesse communicative, une mélancolie profonde qui dès lors empêche les scènes les plus burlesques (la tentative de fellation en plein diner politique, le quiproquo sur l'homosexualité du métier) d'apparaitre comme des éléments d'une comédie classique. Une comédie noire, cruelle et particulièrement lucide, qui se double d'une lecture plus intime. Celle d'un acteur / producteur / auteur qui tourne ici aux cotés d'anciennes et de nouvelles conquêtes et faisant ainsi constamment planer le doute sur la cible de certains dialogues troublants. Il dresse ainsi le portait d'un autre séducteur, lui, artiste indépendant assistant à la métamorphose de l'industrie cinématographique hollywoodien où la jolie blonde ne s'échappe plus aux cotés du beau héros, mais bien dans la Rolls du gros producteur pervers. Visionnaire ?



