Film rare hors Espagne, voir carrément inédit en France, Cérémonie sanglante est pourtant l'un des plus beaux essais du cinéma d'épouvante gothique espagnol. Une œuvre inégale mais élégante, poétique et politique qui rappelle que la filmographie de Jorge Grau mérite vraiment d'être redécouverte.
Comme de trop nombreux cinéastes espagnoles ayant exercé sous le règne de Franco, Jorge Grau n'a jamais vraiment réussi à se faire connaitre à l'étranger, éclipsé par l'imagerie un peu kitch des productions de Paul Nashy et une certaine méfiance (condescende), vi-a-vi d'une culture que beaucoup marient difficilement avec le cinéma de genre. Grau s'est pourtant essayé aussi bien au mélodrame qu'au thriller, voir au giallo avec Pena di muerte, mais s'il est resté dans les mémoires c'est certainement pour son doublet purement fantastique Le Massacre des morts-vivants, presque un chainon manquant entre La Nuit des morts-vivants et le Zombie de Romero, et son très gothique Cérémonie sanglante. Si le premier cité est un film largement contemporain, autant dans les thèmes ouvertement abordés que dans son esthétique plus brute, le second s'apparente ouvertement à une expérimentation stylistique dans la lignée des grandes productions Hammer, des adaptations de Poe de Roger Corman et des voyages morbides de Mario Bava. Couleurs chaudes, teintes saturées, noirs envahissants, décors fastueux et costumes historiques d'une certaine noblesse, cet authentique film gothique ibérique imagine les nouvelles exactions, presque 200 ans après, d'une descente directe de la Comtesse Bathory. Une figure historique autant qu'un mythe, qui a directement inspiré le Carmilla de LeFanu et le Dracula de Bram Stoker, auquel le film ne cesse de se référer mais toujours avec un grand flou volontaire.
Tout comme lorsqu'il s'attaque directement à la figure vampirique, tour à tour pur fantasme de villageois superstitieux, nuage de fumé pour serial killer avant l'heure, damnation post-mortem dûe à un étrange artefact et rituel absurde entrainant des bains de sang récolté sur de pauvres jeunes filles égorgées. Surnaturel ou mélodrame historique, Cérémonie sanglante se refuse à trancher, justement pour mieux appuyer une certaine idée du fantastique, celui du doute et de l'insaisissable, où les allusions récurrentes à la décadence du régime franquiste, son instrumentalisation du bouc émissaire, son ascendance sur les populations pauvres et ses manipulations idéologiques deviennent parfaitement lisibles. L'identité du véritable vampire du film ne fait que peu de mystère. Un cinéaste qui a toujours été engagé, mais qui ne se borne pas à signer ici un brûlot déguisé, Cérémonie sanglante, malgré certaines lenteurs et un rejet notable d'une vraie tension horrifique, est aussi un portrait troublant d'une femme hantée par sa beauté déjà fanée, jalousant celle des pauvrettes qui l'entourent (et en particulier la Ewa Aulin à la moue boudeuse de la comédie Candy). Digne, forte, mais terriblement meurtrie, Lucia Bosé (Le Testament d'Orphée, Satyricon) est sublime et impériale en sorcière de Blanche Neige (les jeux avec le miroir ne sont pas innocents) plus touchante qu'effrayante, décrite constamment ici comme un bourreau mélancolique tentant désespérément de rattraper ce quelle a déjà perdu. La séquence finale sera sans appel.


