Si le Black Christmas de Bob Clark et quelques giallo (comme La Baie sanglante de Mario Bava) ont ouvert la porte vers une nouvelle vision du cinéma d'horreur, c'est sans aucune comparaison possible Halloween qui a fait entrer le slasher dans son approche la plus populaire, et surtout imposé irréversiblement les codes qui vont le nourrir encore des décennies plus tard.
Pourtant, le projet ne naît au départ que d'une volonté de la part du producteur Mustapha Akkad d'écouler quelques dividendes faciles, embourbé qu'il est dans le tournage du Message, fresque historique sur la « mission » du prophète. Pour compenser, il imagine donc une simple histoire d'horreur : une baby-sitter est attaquée une nuit par un tueur sadique. Projet vite conçu comme un pur film d'exploitation, confié sur un coup de dés au jeune John Carpenter, qui vient à peine de faire ses preuves avec le bluffant Assaut. Voyant ici l'occasion de faire entrer durablement son nom dans l'industrie (parce que dans le genre mercantile, il se pose là, lui aussi), ce dernier ne demande que deux choses au nabab : d'une part, le director's cut, d'autre part, que son nom apparaisse au-dessus du titre... Ou comment avoir le nez creux car sous son impulsion créative, le petit film d'épouvante va rapidement devenir l'un des plus gros succès de l'histoire du genre, et initier une série lucrative et vivace (et malheureusement pour une bonne moitié pas franchement à la hauteur).
Mais si le succès est au rendez-vous, Carpenter ne table pas ici, comme pour un opportuniste Vendredi 13 (qui malgré ses qualités n'est qu'une copie bourrine de ce premier pas) sur une surenchère de nibards et des séquences gore. Il opte au contraire pour une certaine sophistication : gardant constamment en tête la construction et l'exigence du Psychose d'Alfred Hitchcock, quitte à lui offrir quelques clins d'œil marqués (ne serait-ce que le choix de l'actrice principale, fille de Janet Leigh), Carpenter distille ainsi pendant les deux tiers du métrage un suspens tout simplement insupportable, basé au final uniquement sur l'horreur réelle du seul et unique premier meurtre, le crime matriciel. Une ouverture en plan séquence profondément traumatique qui fait vivre au travers des yeux du tueur le meurtre, profondément sexuel, perpétré par le tout jeune Michael Myers sur sa malheureuse grande sœur. Pas plus haut que trois pommes, mais déjà au-delà de la démence, le regard vide comme happé par l'indicible, Myers glace les sangs. Cette accaparation, extrêmement naturelle finalement, de l'objet filmique conditionnera par la suite l'essence même du personnage. Inactif pendant toute la durée du jump-cut narratif de quinze ans, l'assassin revient dans son village natal affublé d'un masque anonyme (une version remaniée de celui du Capitaine Kirk), ne renvoyant ni caractère ni émotion, le personnage venant bientôt à habiter chaque ponctuation du film.
Apparaissant et disparaissant au gré des cadres, jouant avec le hors champ, s'insinuant dans les collages du montage et surtout faisant mentir l'utilisation de la musique (les compositions mathématiques et manipulatrices de Carpenter sont une merveille), Michael Myers, dit The Shape, est le cauchemar ultime, incarné et immortel. Le dispositif de Carpenter est tout simplement lumineux, aussi intelligent que d'une efficacité redoutable, et dépassant dès le premier essai tous les slashers qui s'en inspireront par la suite. C'est qu'au-delà de cette illustration du mal intouchable, impalpable (thème cher au cinéaste), le film remplit à la perfection son cahier des charges, amenant chaque meurtre avec une rigueur exemplaire, offrant une dernière demi-heure en forme d'exutoire cathartique mais n'oubliant jamais en route de donner corps (par opposition justement) à des personnages d'une fragilité, d'une futilité des plus humaines. Jamie Lee Curtis (victime virginale) ou Donald Pleasence (résurgence de la figure du chasseur de vampire) sont d'autant plus attachants, drôles, sympathiques et vivants qu'ils renvoient Myers à son image d'implacable machine de mort. En découle une vision presque mystique du slasher, le talent de John Carpenter s'imposant avec force dans la précision chirurgicale de ses cadres, l'élégance de ses coupes, sa parfaite direction d'acteur, la démence progressive de sa musique faussement simpliste, et un respect inextinguible pour l'angoisse et la terreur, dans ce qu'elles ont de plus noble.



