Beaucoup de choses ont été dites sur ce film. Grand film pour certains, petit western méprisable pour d'autres, Le Train sifflera trois fois aura néanmoins réussi à traverser les décennies et à devenir une œuvre de référence. Pourquoi ? Un petit rappel des faits semble nécessaire.
Habituellement, les westerns finissent avec le héros chevauchant vers le soleil couchant avec sa belle à ses côtés. Un héros sans peur, parcourant les grands espaces à la recherche de la justice. C'est à peu près l'archétype des cow-boys de l'époque. Mais voilà qu'un jour, un petit scénariste immigré juif ayant été contraint de fuir le nazisme et la délation arrive en ville avec un scénario à adapter. Un Western justement, style de films le plus en vogue dans son pays d'adoption. Étranger à cette culture américaine peuplée de mâles alpha, il commence son histoire là où les autres se terminent. Le héros est vieillissant et se décide enfin à épouser sa belle pour vivre une retraite bien méritée. C'est alors que les ennuis commencent (et pas à cause du mariage). Pas de bol pour lui, c'est ce jour-là que décide de débarquer par le train de midi la pire crapule qu'il avait arrêtée jadis pour prendre sa revanche avec ses complices. Il est 10h30 et il a 90 minutes pour appeler ses concitoyens en renfort pour faire rebrousser chemin aux criminels. Tic-tac. L'idée de génie du film reste d'avoir monté le film en temps réel où la temporalité du métrage est ponctuée de plans d'horloges rappelant que l'inéluctable se rapproche. Tic-tac.
Pour en arriver là, tout devait tenir dans une préparation storyboardée aux petits oignons. Avec moins de vingt jours de tournage et un budget au plancher, l'organisation devait être de mise. Réputé pour être un metteur en scène méticuleux, Fred Zinnemann n'a pas eu de mal à imposer son film dépouillé pour aller à l'essentiel. Le shérif interprété par Gary Cooper passera son temps à essayer de convaincre ses concitoyens à venir l'aider. Son interprétation toute en nuances, fort en public mais laissant apparaître ses failles et ses craintes dans sa solitude forcée lui vaudront un oscar. Le héros n'est plus infaillible et la ville est remplie de lâches. L'écriture donnera la part belle aux seconds rôles. Les actrices ne sont plus des potiches mais des femmes au caractère bien trempé tandis que les hommes (Lon Chaney et Lloyd Bridges en tête) retournent leur veste aussi vite qu'ils boivent du whisky tiède. Chacun ira de son discours. Une scène dans une église dérive en débat politique, une autre dans un bar sera éloquente de lâcheté et d'opportunisme... Et pendant qu'ils jacassent, le temps s'écoule et notre pauvre shérif est de plus en plus seul. Tic-tac. Le montage du film nous rappelle cette donnée. Les plans d'horloges se font de plus en plus présents et de plus en plus gros. La pendule donne le rythme sur la rencontre inéluctable.
Le Train sifflera trois fois se montrera comme une radioscopie de l'Amérique 50's. Objet de tous les scandales. Le scénariste Carl Foreman victime du maccarthysme ne restera présent que par l'intervention de Cooper. A l'instar de son personnage, celui-ci restera exemplaire devant comme derrière la caméra, menaçant de quitter le projet si Foreman est évincé. Dans ce contexte, les avant-premières seront désastreuses. John Wayne héros national taxera le film d'anti-américain, Howard Hawks dira avoir réalisé Rio Bravo pour faire oublier l'affront de ce film envers la nation. L'Amérique ne voudra pas se refléter dans ce miroir qu'il considère comme déformé. Le parallèle entre la fiction et la réalité est effrayant et toutes les vérités ne semblent pas bonnes à dire.
Néanmoins, contre toute attente, le film sera un triomphe. La chanson du film « Do Not Forsake Me, Oh My Darlin » un carton. Avec quatre oscars à la clé, les mauvaises langues s'inclinent. La politique a perdu ; le peuple a parlé. Le film se regarde aujourd'hui comme un pamphlet toujours d'actualité. Décidément, ce train-là n'a pas fini de siffler.
« Classique parmi les classiques du western, Le Train sifflera trois fois aurait pu avoir usurpé sa place, ou en tout cas être prisonnier d'un écrin glacé. Drame éthique au cœur du décor viril de l'ouest, drame puissant sur la solitude du courage et suspens conçu avec une tension mathématique, l'essai de Fred Zinnemann est indémodable. » N.B-D.


