On parle beaucoup en matière de cinéma de l'archétype du héros américain. Mais certains ne sont pas de fiction. Les vrais sont reconnaissables à leurs fruits, à leur héritage et aux traces qu'ils ont pu nous laisser au travers des âges.
Raconter la vie d'Abraham Lincoln, le seizième président des Etats-Unis d'Amérique, c'est conter l'histoire même de ce grand pays. Sa vie si touffue en actes et en paroles se raconte en une multitude d'ouvrages aussi différents pour l'appréhender. Au cinéma, ce sera par le bout de la lorgnette que le spectateur sera invité à le découvrir. Non pas d'une manière didactique comme le ferait une biographie exhaustive mais comme des tranches de vie où les heures les plus intimes de ces combats nous feront comprendre l'homme qu'il était et l'icône qu'il allait devenir.
Le cinéma ne pouvait pas passer à côté d'un tel personnage si bigger than life. Si le septième art s'emparera du sujet dès 1912, le public le réduira vulgairement à son coup d'éclat illustré par le Lincoln de Spielberg contant sa grande victoire sur l'abolition de l'esclavage en 1865. Alors même si Griffith ou Anthony Man l'ont porté à l'écran, seul John Ford tentera l'aventure à deux reprises par amour pour son sujet. Alors que sa première tentative se concentrait jadis sur les répercussions post-assassinat du président (Je n'ai pas tué Lincoln en 1936), sa seconde, va se focaliser davantage sur un détail de sa vie qui allait forger l'homme en devenir : sa première victoire devant les tribunaux en tant que jeune avocat.
Pour narrer les débuts de ce jeune Lincoln, Ford allait pouvoir s'appuyer sur son producteur Zanuck, grand fan lui aussi du personnage. Les deux hommes avaient beau être en opposition constante hors plateau, leurs diverses collaborations enrichissaient leur sujet. En s'attaquant à un passage court mais révélateur de la vie du futur président, Ford façonnera le modèle américain tel qu'il le concevait. Droit et fier, fidèle à ses convictions.
Pour incarner le rôle principal, un jeunot prometteur de haute stature ; encore assez vierge du grand public pour pouvoir s'approprier le rôle : Henry Fonda. En début de carrière, il n'aura aucun mal à s'imposer. Son grand corps sied à merveille à Lincoln, dépassant la majeure partie du casting d'une tête, il siège sur son sommet intouchable comme la justice qu'il défend. L'action du métrage se concentrera sur une affaire de meurtre. Lincoln, jeune avocat inexpérimenté prendra en charge l'affaire. Sa verve et son sens de l'équité exploseront dans le dernier tiers du film sous forme de procès. Ford le transformera en show. Son Lincoln s'inspirera de la célèbre sagesse du roi Salomon confondant les mensonges et les animosités des citoyens les plus respectueux. Ses propos, le cinéaste se les accaparera au détour d'une scène de son film dans laquelle il affirmera via son personnage principal sa fidélité à ses convictions. Face au juge venu le faire plier dans son jugement, il réaffirme qu'un homme ne change pas de camp. Eloquant. Ce moment est d'une importance capitale pour son réalisateur qui ira combattre peu de temps plus tard en tant metteur en scène des armées sur le front à Pearl Harbor. Bataille non moins emblématique que les luttes de son président de prédilection.
Vers sa destinée pourrait paraître simpliste. Le cinéma Fordien célébré pour ses grands espaces et ces mouvements perçant l'horizon se retrouve ici coincé dans les huit clos d'habitations et de salle de tribunal. Pourtant par cette fausse simplicité il sculptera l'essentiel. Le portrait d'une Amérique telle qu'elle devrait être. Exemplaire. Iconique à l'image de son plan final où la silhouette de son personnage se fond dans l'imagerie de la célèbre statue du Lincoln mémorial de Washington sculpté dans le marbre.
Au-delà du film, Ford invite son spectateur à ne jamais renoncer. Sa dernière séquence voit Lincoln, une fois son procès gagné, monter une colline l'orage grondant à l'horizon. Il semble nous avertir que ce premier combat a beau être acquis, d'autres se profileront toujours à l'horizon. Il ne tient qu'à nous de les prendre à bras le corps et de les mener à la victoire.



