Grande réunion du petit monde du cinéma français du début des années 60, Le Diable et les 10 commandements est aussi l'une des trois dernières réalisations du grand Julien Duvivier (Panique, La Fin du jour, Voici le temps des assassins...) tout aussi apte à scruter avec cynisme ses contemporains qu'à leurs offrir quelques comédies plus légères. Un petit pas d'entre-deux qui résume bien ce film à sketch proposé, pour la première fois en France, dans son intégralité.
Grand artisan d'un cinéma populaire français ayant autant versé dans la joyeuse comédie (il a donné naissance à Don Camillo tout de même), célébré les beaux élans du Front Populaire (La Belle équipe) mais aussi distillé un pessimisme sans fard sur la société humaine, Julien Duvivier a déjà quarante ans de carrière et ses plus belles heures derrières lui lorsqu'il réalise Le Diable et les 10 commandements. Un quatrième film à sketch aux airs de superproduction hexagonale réussissant à rassembler devant la caméra un parterre de stars d'autant plus impressionnant qu'il réussit à mêler adroitement les grandes valeurs immuables (Michel Simon, Fernandel, Micheline Presle, Georges Wilson, Danielle Darrieux...), les stars du box office Lino Ventura et Louis de Funès et les jeunes visages de La Nouvelle Vague (Alain Delon, Jean-Claude Brialy, Charles Aznavour...). Affiche de rêve d'un cinéma français d'autrefois épaulé dans leurs performances par les dialogues brodés de Michel Audiard, Pascal Jardin (La Veuve Couderc), Henri Jeanson (Fanfan La Tulipe) et René Barjavel (Boulevard). Tout est réuni en somme pour faire de l'objet un grand rendez-vous, un divertissement relevé ce qu'il n'arrivera cependant à atteindre que par intermittence. Reliés par un diable de narrateur s'ondulant sous la forme d'un serpent et avec la voix de Claude Rich, les sketchs du métrage sont, comme le veut la coutume, assez inégaux, mais surtout manquent trop de cohésion pour fonctionner comme un ensemble.
Sans doute que le thème proche des péchés capitaux est trop leste. Sans doute que Duvivier n'y trouve pas toujours son compte dans ce qui ressemble le plus souvent à un baroud d'honneur, à une tentative de renouer trop facilement avec le succès. On est très loin ici des plus grandes réussites du metteur en scène, même si affleure régulièrement sa noirceur bien connue, sa description cruelle de personnages avides, jaloux, menteurs, traites et lâches, avec ici une misogynie répandue assez féroce. Le segment le plus marquant est d'ailleurs celui qui semble le plus anodin de prime abord, donnant à Fernandel l'opportunité d'interpréter un dieu unique en promenade dans la campagne française. Une rencontre avec une maisonnée éreintée de fatigue, las de jalousie et de petit mensonges en font au final l'un des moments les plus désespéré et hérétique du film. Malgré ses petites faiblesses (dont un trop long segments sur la matérialité) Le Diable et les 10 commandements regorge de très beau moments comme un face-à-face rigoureux entre Aznavour et Ventura dans une ambiance vieux polar, un drame familial pour un jeune Delon pantois devant une Danielle Darrieux aux tentations incestueuses, ou une farce grotesque (on pense à Des Pissenlits par la racine en trés resserré) entrainant Brialy, Funès et même un Jean Carmet de passage à la poursuite d'un magot de billets verts. Quand à la fameuse version intégrale reconstituée (distribuée à l'origine uniquement au Japon et en Allemagne), elle concerne uniquement le second sketch, L'œuvre de chair ne désirera qu'en mariage seulement, petite friandise sans doute trop sexy pour les bonnes mœurs de l'époque, dans lequel un brave concierge va enfin découvrir tous les charmes de son épouse (Dany Saval futur madame Drucker) effeuilleuse enthousiaste de son métier.



