Plus mal aimé que jamais dans ces années de politiquement correct et de divertissements sans aspérité, John Millius reste pourtant l'un de ces cinéastes frondeurs qui ont creusé coûte que coûte leur sillon dans un Hollywood dont ils n'avaient que faire des modes. Film désuet par nature, mais flamboyant par passion, Le Lion et le vent est clairement un grand film d'aventure comme on en fait plus.
Trop souvent mis de coté dans les petites tablettes du public, du monde critique et des historiens du cinéma, John Milius a sérieusement souffert de l'image qu'il s'était lui-même en partie construite. Celle d'un mercenaire grand gueule, aimant bousculer ses interlocuteurs, fier membre de la NRA et collectionneur d'armes de guerre, chasseur à ses heures, machiste invétéré, surfeur réac mais anarchiste... Apparu dans le cortège du célèbre Nouvel Hollywood et camarades de George Lucas, Francis Ford Coppola (pour qui il a écrit Apocalypse Now tout de même) ou Steven Spielberg, il fait forcément tache au milieu de ses collègues. Ses scripts pour Jeremiah Johnson de Sidney Pollack, Juge et Hors-la-loi de John Huston, Melvin Purvis G-Man, et surtout Dirty Harry et sa suite Magnum Force, et sa première réalisation Dillinger attestent d'une fascination certaine pour une violence sèche et sans détour, mais aussi et avant tout pour les figures légendaires, les guerriers solitaires, modernes, mais encore pétrie des valeurs viriles d'autrefois. Avec Le Lion et le vent, belle production conjointe de la MGM et la Columbia, il pousse même encore plus loin, s'emparant d'un authentique épisode historique qui faillit enflammer l'Afrique du Nord, pour le transformer en un fantasme tout droit sorti des grands romans épiques pour la jeunesse. Le regard principal n'est ainsi par celui du héros, Raisuli chef berbère et rebelle s'efforçant de repousser l'occident, ni la fière Eden Pedecaris qui ne cesse de troubler son kidnappeur, mais bien ses deux enfants, et plus particulièrement le jeune garçon. Une touche de Kipling qui permet au métrage de dévier du modèle Lawrence d'Arabie pour se teinter d'un mélange aujourd'hui déroutant de violence sèche (on y découpe les têtes et les langues autant qu'on fusille les ennemis) et d'une naïveté picturale parfaitement assumée.
Ainsi le portrait de Théodore Roosevelt, oscille constamment entre la célébration d'une Amérique indépendante et puissante, encore passionnée par l'ouest sauvage et la figure du cowboy, et la parodie d'une ingérence militaire et commerciale pas loin du concours de celui qui pisse le plus loin. Malgré l'inclusion de ses propres valeurs que l'on dira profondément républicaines, Milius s'amuse énormément, moquant la civilisation moderne et sa grande et belle Guerre Mondiale à venir, pour mieux célébrer l'héroïsme d'autrefois, plus simple, plus honnête, mortel certes, mais honorable. De quoi éclairer le monde arabe, et plus particulièrement le Maroc colonial, avec une chaleur et un respect malheureusement pas si fréquent dans ce type de grandes productions. Même le choix assez étrange vu d'aujourd'hui de Sean Connery dans le rôle principal (ce devait être Omar Shariff), fonctionne parfaitement grâce au charisme viril, racé mais aussi ironique, d'un acteur encore fougueux et qui allait enchaîner avec L'Homme qui voulut être roi, La Rose et la flèche, mais que l'on rapproche volontier de son apparition plus tardive en Roi Agamemnon dans la fantaisie Bandit Bandit de Terry Gilliam. Encore ce regard de gosse, fasciné par ce héros rustre mais honorable dont les chevauchées, les batailles sabre à la main et l'incroyable scène de rapt à Tanger ont déjà des airs de Conan Le Barbare. Encore un pied dans les grandes épopées hollywoodiennes (péplums, westerns...) Le Lion et le vent profite constamment de la maîtrise incroyable du cinéaste pour les belles séquences épiques, multipliant les angles iconiques, les gros plans fiévreux, les cadres larges lançant les troupes à brides abattues sur fond de soleil couchant, le tout forcément emporté par une bande originale guerrière et noble d'un Jerry Goldsmith démesuré. L'une des dernières grandes fresques épiques.



