Après La Rose écorchée et La Saignée et avant un futur coffret au contenu encore mystérieux, Le Chat qui fume poursuit son exploration de la filmographie enterrée de Claude Mulot avec Les Charnelles, étrange virée érotique malade, qui sent le glissement de terrain à venir vers le X inventif.
Un temps titré Émotions d'un garçon de bonnes familles, puis renommé Les Charnelles pour mieux se lover dans la masse de productions érotiques du cinéma français de ce début des années 70, l'opus est d'ailleurs le premier qu'il signe sous ce pseudonyme, Frederic Lansac, qui sera définitivement attaché aux classiques du porno que sont Le Sexe qui parle ou La Femme objet. Dans sa multiplication de longues scènes de sexe, encore softs mais sans détours non plus, et un séduisant casting féminin qui passe son temps à exposer poitrines et sexes poilus (les sexes pas les poitrines), Les Charnelles remplit docilement le cahiers des charges des pellicules polissonnes de son époque. Mais avec ce petit truc en plus des œuvrettes soignées, soit une caméra voluptueuse, des plans joliment construits, une sensualité bien présente et même quelques expérimentations, psychédéliques en l'occurrence, pas inintéressantes. Cependant, malgré le soin apporté à ces passages obligés, Claude Mulot ne caresse pas totalement le spectateur dans le sens du poil, préférant travailler un univers beaucoup moins libertaire qu'il n'y parait. En dehors du jeune couple formé par Jean-Pierre et Isabelle (la fameuse Anne Libert future égérie de Jesus Franco), la sexualité du film n'est pas vraiment des plus joyeuses et ni des plus réjouissantes.
Avec une petite pointe de misogynie, le réalisateur décrit une France où la libéralisation des mœurs s'est manifestement accompagnée d'un déséquilibre des sens. Les adolescentes font des concours qualitatifs. Un beau père adipeux viole sa fille. Une nymphomane se fait prendre en fil indienne par un gang de losers. Et Benoît (Francis Lemonnier collaborateur régulier de Mulot) figure centrale aux traits émaciés, manifestement écrasé par la figure paternelle et émasculé par une mère incestueuse, qui traîne son malaise, son impuissance sexuelle et ses accès de violence. Un personnage trouble, à la fois inquiétant et pathétique, qui emporte Les Charnelles vers le road movie décadent, enchaînant les coups foireux, les trahisons familiales, les tentatives de possessions sexuelles et les actes barbares de plus en plus incontrôlées. Comme un anti Les Valseuses (sorti la même année), c'est une spirale auto-destructrice qui porte encore la marque du réalisateur de La Saignée, autant dans son nihilisme que dans son évocation en arrière plan d'une opposition sociale infranchissable (Benoit comme sa mère instrumentalise les jeunes d'origines plus modestes). Faisant la transition entre les films dits traditionnels et une seconde partie de carrière bien plus torride, l'opus porte définitivement la marque d'un auteur désemparé devant l'échec de ses précédentes réalisations et conscient que quelque-chose est en train de lui échapper. Ce sera largement confirmé à la sortie de Les Charnelles, joli succès populaire soit, mais amputé d'une vingtaine de minutes puis classifié outrageusement comme une production X non pas pour des scènes de sexe hardcore mais pour la brutalité froide et ses contours dérangeants.




