Déjà raconté en 2005 par Im Sang-soo au travers du très caustique The President's Last Bang, l'assassinat du président Park Chung-hee après 18 ans d'un règne sans partage sur la Corée du Sud fait à nouveau l'objet d'un long-métrage d'envergure. Thriller politique sous influence, L'Homme du président plonge avec froideur et sophistication dans les coulisses de ce drame d'état.
Fasciné par les secrets bien peu reluisants de l'exercice du pouvoir et la dualité entre cas de conscience et sens du devoir, le réalisateur et scénariste Woo Min-ho délaisse la fiction pure pour investir l'Histoire et gratter les plaies encore fraîches d'une nation meurtrie par les trahisons multiples de ses élites. 40 ans après les faits, le consensus n'est toujours pas établi sur les motivations réelles de Kim Gyu-Pyeong, l'homme qui appuya sur la gâchette et mit un terme à un régime politique de plus en plus contesté. Si les déclarations de l'intéressé (qui concluent le film) font pencher la balance vers un acte désintéressé, dans le seul but de stopper une répression de plus en plus sanglante et en complète contradiction avec les idéaux de la révolution de mai 1961, l'ambition et une vengeance personnelle ne sont pas non plus exclues de l'équation. Woo Min-ho refuse de trancher et préfère explorer les zones d'ombre pour aboutir à une explication nuancée et tragique qui colle sans doute mieux à un acte trop brutal pour avoir été pleinement prémédité et trop professionnel pour avoir été improvisé de bout en bout. Un refus du manichéisme qui découle directement de la personnalité tourmentée de Kim Gyu-Pyeong tel que l'interprète avec brio l'immense Lee Byung-hun, fonctionnaire propre sur lui mais pourtant bien mal à l'aise dans ses fonctions de chef des services de renseignement, la très redoutée KCIA.
Outre un casting sans faille sur lequel il peut s'appuyer sans retenue, Woo Min-ho pousse très haut les curseurs de l'écriture et de la mise en scène. La précision du scénario, à la fois axé sur le (dys)fonctionnement de la machine d'état coréenne et sur la causalité entre les décisions d'une poignée d'individus et leurs conséquences dramatiques, est tout bonnement fascinante. Chaque scène est un pas supplémentaire vers un cataclysme humain et politique. En posant dès l'ouverture l'issue meurtrière de son récit, Woo Min-ho en dresse l'arbre des causes avec une minutie d'horloger, une mort en amenant à une autre. Très influencé par l'esthétisme distant mais incisif d'un David Fincher (tendance Zodiac) et l'approche mélancolique et glaciale du film d'espionnage d'un Tomas Alfredson (on pense très fort à La Taupe), le cinéaste coréen est très habile dans la montée de la tension et compose des cadres dépouillés qui insistent implacablement sur l'isolement des protagonistes. Le drame qui se joue sous nos yeux est illustré comme un long voyage au bout de la nuit. On regrettera simplement que Woo Min-ho cède un peu trop aux codes esthétiques contemporains, tels que l'on peut les retrouver jusqu'à la nausée dans les productions Netflix, lumière numérique lisse à la stylisation simpliste et sans identité. Une concession qui ne gâche pas le plaisir mais qui a tendance à uniformiser un propos qui n'en a précisément pas besoin.
Preuve supplémentaire de l'extraordinaire vitalité du cinéma coréen, de sa conscience politique aigue et de l'investissement hors norme de ses auteurs, L'Homme du président aurait pu passer, eu égard à la crise sanitaire que nous traversons et à une sortie vidéo très discrète, sous nos radars. Il n'en est heureusement rien.



