Western horrifique teinté de sadisme dans l'Angleterre du XVIIème siècle, Le Grand Inquisiteur est le troisième et dernier film de Michael Reeves, jeune cinéaste prometteur décédé à l'âge de 25 ans. Habile et lucide, l'œuvre louvoie entre la série B d'exploitation et le portrait ambitieux d'une société gangrénée par la violence, la superstition et l'hypocrisie.
Incarné par un Vincent Price inquiétant, raide comme la justice et loin des cabotinages raffinés qui ont fait son succès, Matthew Hopkins n'a malheureusement rien d'un personnage fictif. Fils d'un vicaire puritain du Suffolk, celui qui aimait se présenter comme grand Inquisiteur (bien qu'aucune nomination officielle ne lui en donne le droit) fit régner la terreur dans tout l'est du royaume entre 1644 et 1647. Jouant d'un vide « juridique » privant les accusés de sorcellerie du moindre recours, Hopkins et son associé John Stearne firent pendre, noyer, torturer ou brûler vif des centaines d'innocentes et d'innocents, contre rémunération bien entendu. Convaincu de son bon droit dans sa guerre contre les suppôts de Satan, Hopkins ne craignait guère de s'opposer à des membres de l'Eglise et fit même le détail de ses techniques d'investigation dans un livre écrit par ses soins et sobrement intitulé The Discovery of Witches. Sombre crapule profitant de la superstition rurale pour s'enrichir ou fou de Dieu homicide ? Les deux à la fois.
Historiquement fascinée par les meurtriers les plus immoraux qui soient, la culture anglaise permit à la renommée sordide de Matthew Hopkins de traverser les siècles et le romancier Ronald Bassett fut le premier à exploiter le potentiel de cet anti-héros dans une œuvre de fiction taillée pour notre époque. Paru en 1966, Witchfinder General ne s'embarrasse guère de la réalité historique et verse sans retenue dans le sensationnalisme. Une aubaine pour le cinéma d'horreur, friand de croquemitaines charismatiques et d'authenticité (toute relative).
Passionné de cinéma dès sa plus tendre enfance, Michael Reeves embrasse la carrière de cinéaste à la suite d'un coup d'éclat. Agé de dix sept ans, il quitte l'Angleterre pour les Etats-Unis et se rend au domicile du réalisateur de Don Siegel à qui il fait part de ses rêves entre deux compliments (pour Reeves, Siegel est le plus grand cinéaste de tous les temps !). Le réalisateur de L'Invasion des profanateurs de sépulture et de L'Ennemi public dégotte une place d'assistant pour le jeune Michael Reeves sur le tournage du Château des morts-vivants, série B de 1964 réalisée par Warren Kiefer avec Christopher Lee en tête d'affiche. Deux ans plus tard, Reeves réalise son premier long-métrage, The She Beast, avec Barbara Steele. Le budget est minuscule mais le résultat démontre de réelles aptitudes. L'année suivante, en 1967, La Créature invisible lui permet de se payer une autre légende du fantastique : Boris Karloff. Ce qui nous amène tout naturellement au Grand Inquisiteur.
Coproduite par la compagnie américaine A.I.P. de Samuel Z. Arkoff, l'adaptation du roman de Ronald Bassett impose à Michael Reeves de composer avec une star dont il ne veut pas et qu'il n'apprécie guère : Vincent Price. Le réalisateur (et co-scénariste) voulait Donald Sutherland et n'a que faire de l'acteur fétiche de Roger Corman dans son cycle d'adaptations d'Edgar Allan Poe. Le tournage est court mais chaque jour est le théâtre d'un nouvel affrontement entre l'acteur de 57 ans et le prodige de 23 ans. Et comme si le tournage n'avait pas été une épreuve suffisante, le montage et la distribution du film dénaturent davantage la vision initiale de Reeves. Outre les coups de ciseaux de la censure britannique, le film est remonté pour son exploitation aux USA sous le titre The Conqueror Worm avec des ajouts de nudité (!) et quelques vers de Poe lus par Vincent Price en ouverture et en clôture.
Quelque soit la version, Le Grand Inquisiteur rapporte néanmoins de l'argent et un semblant de renommée à Michael Reeves. Qui peine pourtant à monter ses projets, sombre dans la dépression et succombe à une overdose accidentelle de médicaments en 1969.
En dépit de quelques extérieurs qui semblent parfois trop « propres » et contemporains et d'une durée un peu courte qui force le dernier acte à la précipitation et à des facilités narratives, Le Grand Inquisiteur mérite amplement d'être redécouvert et réévalué au-delà de la simple péloche crapuleuse ponctuée de scènes de torture que son statut de série B semble lui réserver. Contrairement aux apparences, la violence du film, bien que gratinée et parfois saisissante, n'est jamais gratuite, illustrant à la fois l'âme corrompue de Matthew Hopkins et les pulsions sadiques et voyeuristes de son auditoire. La façon dont la caméra s'attarde sur les regards d'une foule hypnotisée et atavique juste avant le passage au bûcher d'une pauvre jeune femme est sans équivoques. Hopkins est un révélateur de l'appétit de la foule pour la cruauté et la souffrance. Diabolique, le chasseur de sorcière agit autant par intérêt personnel (le pouvoir, l'argent, le sexe) que pour satisfaire à un besoin collectif et primitif. C'est l'aspect le plus fascinant d'un film bien plus subversif par ce qu'il insinue qu'en raison de ce qu'il montre.
A cette parabole horrifique, Reeves donne des airs de western champêtre et de récit picaresque. Le soldat joué par Ian Ogilvy, son acteur fétiche, poursuit les malfaiteurs en chevauchant son fier destrier dans de grands espaces, animé par des idéaux romantiques et une soif de justice. L'intrigue se déplace de villages en villages, dans un contexte où domine la loi du plus fort et les coups de feu remplacent les duels à l'épée. De plus, il n'est pas interdit de trouver des ressemblances entre Don Quichotte et Sancho Panza et le duo Hopkins/Stearne. Enfin, le très bon score de Paul Ferris donne au tout une ampleur insoupçonnée avec une alternance entre envolées épiques, love theme pastoral et pures plages d'effroi et de suspense.
Presque parfaitement maîtrisée dans la forme comme dans le fond, Le Grand Inquisiteur laisse à penser que Michael Reeves était encore loin d'avoir tout dit et que son art était sur le point de prendre son essor. Sa disparition reste donc une tragédie mais combien de cinéastes rêvent en secret de conclure leur carrière sur un film de la trempe de celui-ci ?








